Guignols : un cadavre dans le placard
Daniel Schneidermann - - Le matinaute - 56 commentaires Télécharger la videoTélécharger la version audio
Inutile de faire durer le suspense. Vous lirez un peu partout que le retour des Guignols est raté
: oui, il est totalement raté. Comment d'ailleurs aurait-il pu ne pas l'être, l'émission étant quasiment dictée à l'oreillette par le nouveau patron de Canal+ qui, non content d'avoir sabordé l'investigation de sa chaîne, l'émission phare en clair, et jusqu'au foot, aura donc parachevé son oeuvre de démolition. Exit les Guignols. Exit vingt ans de bonheur, de la World company aux pommes de Chirac, en passant par le "cule un mouton" d'Alain de Greef. Ni fleurs ni couronnes : il y aura bien d'autres marionnettes.
Reste au chroniqueur l'exercice difficile de faire comprendre, avec de simples mots, pourquoi une émission humoristique n'est pas drôle, pour éviter à ses lecteurs d'aller y voir par eux-mêmes. Ce n'est pas avant tout une question technique : dans la nouvelle version (en crypté sur Canal, et en clair sur Bollomotion, si vous tenez absolument à y aller tout de même) certes les gags poussifs succédent aux gags, Sarkozy, Bayrou, Hollande, la famille Le Pen font la danse des canards réglementaire. Mais l'essentiel n'est pas là. L'essentiel n'est pas non plus que Elise Lucet ait remplacé PPDA comme cible emblématique, c'est à dire que les Bollonnettes préfèrent dézinguer le journalisme d'investigation, plutôt que le journalisme de compromission.
L'essentiel, c'est le nom qui n'est jamais prononcé. On pouvait en avoir un avant-goût voici une dizaine de jours, en regardant l'inamovible directeur artistique de l'émission, rescapé du sulfatage général, Yves Le Rolland, faire la retape du programme dans l'émission d'autopromo de la chaîne, Le Tube. Sur une interview de dix minutes, il fallut attendre d'être à quarante-cinq secondes de la fin, pour entendre le Bollomannequin qui anime l'émission prononcer le nom maudit : "est-ce que Vincent Bolloré a, comme on a pu le lire, pu relire quelques textes, la totalité des textes ?" Le Rolland : "Non... je... avec Vincent Bolloré je lui ai expliqué un peu la nouvelle formule... euh... lui il m'a... il m'a fait part de sa volonté... euh... à la fois d'internationalisation, parce que qui dit internationalisation dit des moyens, et c'est lui qui donne les moyens... euh... sa volonté aussi... euh... pour les Guignols d'être... euh, beaucoup plus présents... euh... sur les réseaux... euh... sociaux, mais voilà... euh... sur les textes, pour le moment... euh... il a rien lu, et il a même rien vu. Mais ça va venir. Je vais lui montrer".
Que les nouvelles marionnettes, les nouveaux angles d'attaque, la nouvelle mise en scène soient plus ou moins ratées n'est qu'une question esthético-technique. On peut toujours rectifier le tir d'une première ratée. La seule question, c'est la présence ou non, dans les marionnettes, de celle de Bolloré lui-même. C'est sur le traitement de leur propre exécution, sur leur propre tentative de résurrection, c'est sur les convulsions de leur propre chaîne, qu'on attendait la rentrée des Guignols. C'est quand ils mettaient en boîte leurs propres patrons, Messier, Méheut, Lescure, de Greef, qu'on saluait les funambules. Mais les cadavres, cette fois, resteront dans les placards. Affaire classée.