Mais oui Giesbert, vive l'impôt !
Daniel Schneidermann - - Le matinaute - 105 commentaires Télécharger la videoTélécharger la version audio
Il y en a qui s'amusent bien, ce sont les libéraux.
Les "briseurs de tabous". Les révoltés du fisc-qui-nous-mange-la-laine-sur-le dos. L'ancien patron du Point Franz-Olivier Giesbert le week-end dernier, sur le plateau de Canal Bolloré, à côté d'Edwy Plenel, affichant un soutien théâtral, dans l'affaire des redressements fiscaux. "Plenel est en train de découvrir le danger du système français actuel. Il est un peu puceau, là. Mais il va voir ce que c'est, ces contrôles permanents. Et après c'est l'URSSAF, et après c'est l'inspection du travail. Ce qui vient d'arriver c'est Kafka. On a l'impression que Kafka est au pouvoir !" Ali Baddou, ravi : " C'est une sorte de sarkothon ou d'edwython ? Vous allez devenir libéral, Edwy Plenel !"
Riez bien, Giesbert et les autres, je ne rirai pas avec vous. Citoyen, je n'ai jamais payé mes impôts en maugréant. Les impôts, ce sont les écoles, les services d'urgences à l'hôpital, les routes (les rond-points inutiles et moches aussi, d'accord), le ramassage des ordures ménagères, les bibliothèques, les mediathèques, les festivals de spectacles de rue. Petit patron, je n'ai jamais maudit "Kafka" en acquittant les cotisations URSSAF de l'entreprise. Je déteste cette situation, dans laquelle, du fait d'une interprétation à mes yeux étroite et erronée de la loi par l'administration fiscale, nous nous retrouvons en litige avec le fisc.
Quant à l'argument de ceux qui, comme Johan Hufnagel, numéro deux de Libé, expliquent que les sites, dont le nôtre, qui ont acquitté en 2008 la TVA de la presse écrite "savaient qu'ils se feraient attraper par la patrouille", je les renvoie à ce texte d'un ancien directeur des enquêtes fiscales, qui passe au crible notre argumentaire. Et nous apprend en passant qu'une loi, si elle n'est jamais rétroactive, peut toujours être déclarée "interprétative", ce qui revient grosso modo au même.
Plus pernicieuse, et plus troublante pour nous, est l'argumentation de Hufnagel, quand il ressort cette phrase de Macron, présentant hier son nouveau projet de loi sur les "nouvelles opportunités économiques" : «On a été malthusien en protégeant trop fortement les secteurs traditionnels au détriment de la disruption.» Autrement dit, notre activisme fiscal nous range-t-il dans les macrono-compatibles ? Dans les macrono-récupérables ? Davantage de macronisme, plus tôt, nous aurait-il évité l'embrouille ? Tout dépend dans quel sens on l'entend. Pas au sens giesbertien, en tout cas. Si nous sommes des "barbares", au sens de Nicolas Colin, nous sommes des barbares drôlement civilisés. Vous serez surpris, Macron et Giesbert, et peut-être Hufnagel, d'apprendre que nous respectons sans douleur l'actuel droit du travail. Les membres de notre équipe prennent des jours de récupération quand ils le souhaitent. Ils restent rarement au bureau après 19 heures. Ils prennent toutes leurs vacances (et quand ce n'est pas le cas, le patron fait les gros yeux). Je n'ai pas remarqué qu'ils soient moins productifs pour autant. Je nous trouve même, compte tenu de notre effectif, au sommet de la productivité. Quant à la "protection" de l'Etat, nous ne la revendiquons nullement. Nous n'avons jamais demandé aucune subvention. La seule aide que nous réclamons, en fait, c'est celle de nos abonnés, et de tous ceux qui nous soutiennent, qui depuis cinq jours se manifestent en masse sur Ulule et sur J'aime l'info, avec une ampleur inespérée. Bref, en litige avec le fisc, nous ne nous giesbertiserons pas. Vive l'impôt ! Vive l'impôt juste et égalitaire !