Goodyear, l'éloquent silence du gouvernement
Daniel Schneidermann - - (In)visibilités - Le matinaute - 131 commentaires Télécharger la videoTélécharger la version audio
Entendez-vous ce silence ? L'entendez-vous ?
Depuis hier, deux cadres de Goodyear sont séquestrés par les ouvriers, dans l'usine d'Amiens. A le suite d'un très long conflit, riche en péripéties et en provocations (lire par exemple ce reportage du Monde sur les tentatives de reclassement par Goodyear), les ouvriers (pour résumer) réclament, au minimum, un quadruplement des indemnités de départ proposées. Les séquestreurs ayant autorisé les caméras, on a vu les deux cadres, lundi soir au JT, assis alignés à une table, en position de comparution devant un tribunal ou une commission d'enquête, dénonçant les "humiliations" dont ils sont victimes. L'un d'eux exhibe devant la caméra un bassin, sans doute tendu par un ouvrier doté d'un solide humour, et l'image est plus éloquente que tous les discours, sur le niveau d'exaspération atteint par le conflit.
L'image réactive nos vieux débats internes sur la violence. Par réflexe immédiat, nous prenons fait et cause pour les victimes apparentes de la violence, ces deux cadres limités dans leurs mouvements, insultés par les ouvriers devant les caméras. Mais dans le même mouvement, se réactive le souvenir de "l'autre violence", par dessus tout la violence des plans sociaux, et toutes les violences verbales qui l'accompagnent, celle du PDG américain Taylor, auquel Montebourg avait jadis pensé pour reprendre Goodyear, et qui accusait les ouvriers français de "travailler trois heures par jour", ou même, en explorant plus loin, la violence du patron Charles Beigbeder, dissident UMP dans l'élection municipale de Paris, assurant qu'il ne veut pas voir "une inspectrice du travail" (Hidalgo) à la mairie de Paris.
Et sur ce sujet, que dit le gouvernement, aux radios du matin ? Rien. Strictement rien. Même Aphatie recevant Moscovici sur RTL, et tout occupé à relayer les angoisses du MEDEF sur les "baisses de charges des entreprises", oublie de poser une question. On fouille, avec ses petits outils de matinaute, on re-fouille, mais non. Rien. Sans doute ce silence ne durera-t-il pas mais il est, au petit matin, éloquent. Un gouvernement ne peut pas approuver la séquestration de cadres. Mais un gouvernement socialiste ne peut pas non plus condamner des salariés promis au chômage par une multinationale (surtout s'il s'est, sans succès, impliqué dans le dossier). Sur Dieudonné, ah oui, on se dresse comme un seul homme contre la barbarie et le nazisme. Mais sur la violence sociale, il est, très exactement, nulle part.