Thank you, the Grizz

Daniel Schneidermann - - Le matinaute - 134 commentaires

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Ce matin encore, elle laisse tout le monde sans voix.

On lit et on relit la lettre adressée à Montebourg par le PDG de Titan, Maurice Taylor Junior, pour lui expliquer son refus de reprendre Goodyear. La voici: «J'ai visité cette usine plusieurs fois. Les salariés français touchent des salaires élevés mais ne travaillent que trois heures. Ils ont une heure pour leurs pauses et leur déjeuner, discutent pendant trois heures et travaillent trois heures. Je l'ai dit en face aux syndicalistes français. Ils m'ont répondu que c'était comme ça en France (...). Monsieur, votre lettre fait état du fait que vous voulez que Titan démarre une discussion. Vous pensez que nous sommes si stupides que ça? Titan a l'argent et le savoir-faire pour produire des pneus. Qu'a le syndicat fou? Il a le gouvernement français. Titan va acheter un fabricant de pneus chinois ou indien, payer moins d'un euro l'heure de salaire et exporter tous les pneus dont la France a besoin. Vous pouvez garder les soi-disant ouvriers. Titan n'est pas intéressé par l'usine d'Amiens nord.»

A noter que le scoop a été décroché par la même journaliste des Echos, Leïla de Comarmond, qui suit le dossier Goodyear depuis longtemps, et n'avait jadis pas de mots assez durs contre la CGT, coupable de bloquer pour des raisons purement politiques la reprise de Goodyear par Titan. "Quand ce Monsieur a visité l'usine, on était déjà en activité ralentie" expliquait ce matin sur France Inter le leader CGT de Goodyear, Mickhaël Wamen, répondant vraisemblablement à une question sur les fameuses "trois heures par jour". Et d'ajouter, quasi-triomphant, qu'il espérait que l'on comprenne mieux maintenant, pourquoi la CGT avait bloqué le plan Titan. Bref, la vraie histoire de la négociation Titan-Goodyear reste à écrire, avis aux amateurs.

Pour son sens aigu des relations humaines, Maurice Taylor s'est auto-surnommé "The grizz" (le grizzly). Hors du monde du business, son principal titre de gloire est de s'être présenté aux primaires républicaines de 1996, compétition où il a décroché 1% des voix. Pour le reste, si ses résultats économiques sont certainement remarquables, c'est un blogueur paresseux (dernier post en 2010).

Etrange sensation, de voir la réalité rejoindre et dépasser brutalement sa caricature. Comment, en lisant la lettre de Taylor à Montebourg, ne pas penser pêle-mêle à la World Company des Guignols, et à son commandant Sylvestre, ou à un nouveau canular des Yes Men ? Mais non. Il y a bien, dans le vrai monde, un vrai Maurice Taylor Jr. Et il y en a beaucoup d'autres. La crudité de ce discours, de cette pensée, est habituellement ensevelie sous le savoir-faire lénifiant des marchands de pommade, pardon, des communicants, et grâce à la complicité des blanchisseurs médiatiques officiels. Que l'on pense à la manière dont Carlos Ghosn, par exemple, a réussi à faire passer pour un geste audacieux les quelques billets de Monopoly jetés aux salariés de Renault (on en verra encore un exemple ici). The Grizz se moque d'être aimé ou haï. Il dévoile la mondialisation comme elle est. Il est, pour ce faire, mille fois plus efficace que tous les films de Michael Moore. Thank you, the Grizz.

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