"Ne laissons pas Le Pen polluer le débat sur la démondialisation"

La rédaction - - Alternatives - 213 commentaires

Lordon, Coutrot : deux économistes critiques en désaccord

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Il y a un an, dans la nuit du 10 ou 11 mai, l'Euro était sauvé. On avait créé un fonds de stabilisation pour stopper la spéculation, et les Grecs avaient adopté un plan d'austérité. Aujourd'hui, la Grèce bat des records de déficit, sa note est dégradée par les agences de notation et la zone euro menace une fois de plus de s'effondrer. C'est justement à ce moment qu'un vaste débat partage le camp des économistes critiques. Il s'agit du débat sur la démondialisation : faut-il instaurer des barrières douanières à l'entrée en Europe de certains produits, fabriqués par les pays émergents, au premier rang desquels la Chine ?

La démondialisation est-elle une solution à la crise économique et financière que traverse l'Europe, ou n'est-elle qu'une idée creuse? C'est le débat de notre émission, avec Thomas Coutrot, économiste, co-président de l'association Attac et cosignataire d'une tribune publiée chez Mediapart le 6 juin, intitulée: "La démondialisation, un concept superficiel et simpliste". Face à lui, Frédéric Lordon, économiste, qui défend cette démondialisation.

L'émission est présentée par Anne-Sophie Jacques et Daniel Schneidermann, préparée par Dan Israel et Aziz Oguz,
et déco-réalisée par François Rose

Chroniqueuse : La Parisienne libérée


La vidéo dure 1 heure et 30 minutes.

 


Il y a à peine plus d'un an sur notre plateau, Frédéric Lordon prenait les paris : 12 à 18 mois plus tard, la Grèce serait encore dans une situation de crise. Il avait vu juste. Pourquoi? "Les ajustements budgétaires ne peuvent fonctionner que sous certaines conditions", explique-t-il : détente des taux d'intérêt, dévaluation de la monnaie et contexte de croissance économique. Or, "aucune de ces conditions n'a été remplie". "On pouvait évidemment le prévoir", approuve Thomas Coutrot. Ce qui "atterrant", "sidérant", c'est de voir tous "ces grands économistes qui ont cru que ça allait marcher" !"

Mais le fonds de stabilité européen de 750 milliards, annoncé à grands renforts de cymbales, alors ? Il monte en puissance, mais son mécanisme revient surtout à transférer les dettes que la Grèce a contracté envers des investisseurs privés vers les contribuables de tous les pays européens, décortique Coutrot. Et si "un gros pays se présente au guichet", explique Lordon, le système n'est plus viable, "il saute comme un bouchon de champagne". L'Espagne, qui contribue pourtant au fonds, pourrait avoir très bientôt besoin de cette aide… Seul point positif pour nos deux invités : les manifestations en Grèce et en Espagne fonctionnent, au moins un peu. La "résistance du corps social" (dixit Lordon) permet de signifier aux marchés que la rigueur a une limite. (acte 1)

Question quasi-rituelle sur notre site : Quel est le rôle exact de l'Allemagne dans la saison 2 de cette crise grecque ? Pourquoi Angela Merkel s'est-elle tout à coup opposée à la Banque centrale européenne, en clamant qu'elle voulait que les banques privées acceptent que la Grèce réduise aussi une part de ses dettes envers elles ? Pour le co-président d'Attac, l'opinion publique allemande refuse de prendre seule le risque d'un défaut de paiement grec. "Le discours des autorités allemandes est complètement désarticulé", souligne tout de même Lordon, pour qui deux pays cohabitent : une Allemagne tendance Banque centrale, qui ne veut pas que les banques payent, et une Allemagne tendance contribuable, qui ne veut pas porter le chapeau.

Autre question, en apparence simple, d'Anne-Sophie : qui détient la dette grecque ? Très bonne question, à laquelle Coutrot assure ne pas avoir de réponse. Lordon, lui, semble plus sûr de lui, mais reconnaît qu'il manque une vraie "cartographie du risque systémique", qui montrerait quelle banque a des intérêts dans quelle autre banque. Qui prête à qui ? A quel niveau ? Ces informations permettraient d'anticiper les risques majeurs. Mais il serait très compliqué d'essayer d'établir cette cartographie, les produits financiers étant complexes, et surtout, très mouvants dans le temps. (acte 2)

Heureuse surprise pour Lordon : la démondialisation s'invite dans les JT ! Le 20 heures de France 2 s'est intéressé (et plutôt bien) à l'idée, défendue depuis peu par le socialiste Arnaud Montebourg. Aussitôt, comme pour mieux expliquer ses réticences face à l'idée, Coutrot explique: "l'histoire nous a forcé à nous rendre compte qu'on ne peut pas tout traiter au niveau national". Notamment les questions politiques et, première d'entre elles, l'écologie. Surtout, il s'oppose à toute "décision unilatérale" allant contre les pays en développement, comme la mise ne place de barrières douanières.

Lordon répond en soulignant qu'il s'agit avant tout, et presque uniquement, de démondialisation économique. "La conscience populaire a identifié que la mondialisation était au principe de ses souffrances", estime-t-il, et il veut apporter une réponse à cette prise de conscience. "On ne peut pas dire que les grands problèmes sont la concurrence, la financiarisation, en refusant de poser la question du protectionnisme et des droits de douane", lance-t-il. (acte 3)

Une seconde fois, Coutrot revient à la question écologique : pour prévenir le réchauffement climatique, il ne faut pas s'enfermer dans nos frontières, mais convaincre les Chinois du danger qu'il représente, et au premier chef pour la Chine et les pays en voie de développement. Réponse acrobatique de son interlocuteur : en fait, "le libre échange n'existe pas, nous vivons dans un monde protectionniste" et il n'y aurait que des formes plus ou moins importantes de protectionnisme…

Lordon l'assure, il faut "lancer le débat" sur le protectionnisme. Mais étrangement, il est réticent à s'affirmer clairement en faveur de barrières douanières. Pourquoi ? "Je ne suis pas un spécialiste du commerce international", évacue-t-il. Il a "une intuition", mais ne veut pas s'avancer au-delà. Pourtant, pour Coutrot, il ne s'agit pas d'un débat d'expert, mais d'un "débat citoyen". Selon lui, avec le protectionnisme, "on reporte la responsabilité de la crise, non pas sur les forces sociales qui ont organisé tout ça en interne, mais sur l'étranger". Sa solution, alors ? "Démondialiser, mais de façon mutuelle et coopérative." Exemple : instaurer une "taxe kilométrique" pour renchérir les coûts de transports. A l'importation, mais aussi à l'exportation ! Une idée certes pas facile à "vendre" aux ouvriers d'Airbus en France… (acte 4)

Ce débat ne repose-t-il que sur des considérations économiques et politiques ? N'y a-t-il pas un autre débat, moral, qui s'insinue dès que l'on pose que Marine Le Pen a, la première parmi les responsables politiques, défendu le protectionnisme ? "On arrive à l'os", se réjouit Lordon, qui reprend du poil de la bête. Il refuse de se laisser dicter les termes du débat par le FN. La démondialisation, ça ne signifie pas forcément "l'archaïsme nationaliste". Et tant pis s'il croise dans les mêmes eaux que "Marine", qui a de toute façon "la paluche baladeuse" et récupère tous les thèmes qui peuvent la servir. S'interdire de parler des mêmes sujets que le FN, c'est se "couper un bras", au risque de vite "finir à poil".

Son voisin n'est pas d'accord. Au nom de la responsabilité politique, il se refuse à utiliser des concepts "trop facilement récupérables"."Il faut mettre une ligne rouge entre tout ce qui peut favoriser des dynamiques de confrontation entre les peuples", martèle-t-il. Il appelle à "nous ouvrir sur les mouvements sociaux" grecs et espagnols, qui laissent espérer "l'émergence d'un peuple européen". Nos deux invités retombent à peu près d'accord pour dire que se replier au niveau national ne serait "pas un drame"… si on tente d'abord de repenser le modèle économique de la zone euro, puis d'un "sous-bloc" de pays voulant travailler ensemble. (acte 5)

Encore une question pragmatique : Si des barrières protectionnistes étaient instaurées, il y aurait une hausse des prix. Comment expliquer cela aux consommateurs ? interroge Daniel. Lordon balaye cette "vision pessimiste" : "Si les prix montent, les salaires remontent aussi puisqu'ils ne sont plus sous pression" de la concurrence des autres pays et de l'exigence de rentabilité financière. Il y aurait par ailleurs d'autres bénéfices comme le ralentissement des cadences productives et l'amélioration des conditions de travail. Mais il reconnaît qu'il n'aurait peut-être pas de "succès à la sortie d'Ikea" pour expliquer cela, puisqu'il faudrait totalement changer de "cohérence globale" sur le plan économique. Il rappelle tout de même que la période des Trente glorieuses, si souvent présentée comme bénie, correspond justement à une époque où les barrières douanières existaient, ce qui n'empêchait pas une vraie "paix" économique. Mais Coutrot craint toujours le déclenchement d'une "guerre économique entre blocs"

On termine l'émission par un extrait de la pièce de théâtre de Lordon, vrai manifeste poétique contre la financiarisation du monde. Et après la poésie, la musique : La Parisienne libérée livre sa dernière chanson de la saison. "Que deviendra Athena" aux mains des marchés ? (acte 6)



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Acte 1

Acte 2


Acte 3


Acte 4


Acte 5


Acte 6

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