Guerres justes, et chroniqueurs indépendants
Daniel Schneidermann - - Le matinaute - 107 commentaires Télécharger la videoTélécharger la version audio
Sacré matin !
Soyons honnêtes. Qui, ici, sur ce site, dans ces forums, qui peut jurer qu'il reste indifférent, en voyant les rebelles de Benghazi, ce peuple qui a risqué sa vie en se soulevant contre le dictateur fou, brandir le drapeau français cette nuit ? Qui peut rester indifférent à leur gratitude envers le rôle joué par la France dans l'adoption de la résolution 1973 du Conseil de sécurité, qui va autoriser la "communauté internationale" à bombarder les colonnes de Kadhafi ? Cette résolution est évidemment une bonne chose pour eux, et pour ce qu'on pourrait appeler la "morale internationale", même s'il faut se garder de toute extrapolation mécaniste sur les "printemps arabes". Et pour une fois, le cocorico français est sans doute partiellement justifié. Partiellement: ce n'est évidemment pas la géniale diplomatie française seule, qui a fait bouger Obama, mais plus sûrement la pression brûlante qu'exercent sur lui les Républicains. |
Mais ce soulagement, cette joie, cette fierté irrésistibles qui nous assaillent, il ne faut pas les laisser nous submerger. Une guerre n'est jamais une bonne nouvelle. Aucune guerre n'est anodine, même les guerres justes. On ne sait jamais à l'avance comment se termine une guerre. A chaud, Patrick Cohen posait les bonnes questions à Hubert Védrine, ce matin, sur France Inter, en tentant d'en savoir davantage sur les vrais objectifs de guerre. Simplement sauver Benghazi ? Renverser Kadhafi ? Ce n'est pas la même chose, même si ce n'est pas incompatible.
Bernard Guetta, lui, n'avait pas de ces finesses."L'objectif, c'est évidemment la chute de Kadhafi" assénait l'éditorialiste, en direct de New York. Car Guetta était à New York. Il y est vraisemblablement allé "embedded" dans l'avion de Juppé, même s'il ne l'a pas précisé explicitement, mais seulement laissé deviner aux auditeurs, en livrant quelques indiscrétions sur l'ambiance "dans l'avion ministériel". Est-ce à dire qu'il faut désormais comprendre que Guetta dit tout haut ce que Juppé est obligé de penser tout bas ? Il est évidemment plus honorable d'aller à l'ONU sauver Benghazi avec Juppé, que d'aller interroger Kadhafi dans l'avion d'un intermédiaire en ventes d'armes. Et on peut comprendre que Guetta, qui a magnifiquement couvert jadis la chute du communisme en Pologne, ou l'épopée Gorbatchev, soit incapable de résister au souffle de l'Histoire en train de se faire. Mais il n'est plus correspondant du Monde dans un pays étranger. Il est éditorialiste quasi-officiel de la radio publique, en charge de couvrir l'action d'un ministre avec lequel il écrivait un livre voici quelques mois, et dont il tressait les louanges, avant même que le grand homme ait levé le petit doigt. Attention danger ! Même les guerres justes ont besoin de chroniqueurs indépendants.