Elisabeth Badinter, contre le terrorisme des couches lavables

Daniel Schneidermann - - Publicité - Le matinaute - 258 commentaires

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Démarrant quelques jours après le déferlement BHL


, il faut se préparer à subir un déferlement Badinter (Elisabeth). La philosophe publiant un livre, France Inter lui ouvre, aujourd'hui jeudi, toute son antenne, de l'interview du matin, au Téléphone sonne du soir. Pour un jour, France Inter devient Radio Badinter, promouvant la pensée badinterienne au statut de pensée officielle. Si l'on comprend bien son interview chez Demorand, Badinter proteste aujourd'hui contre l'injonction implicite, qui serait faite aux mères depuis le début de la crise, de rentrer à la maison, de renoncer à travailler, d'allaiter leurs enfants, de leur préparer des brocolis bio plutôt que de leur servir des petits pots tout préparés, et de revenir aux couches lavables, de préférence aux couches jetables (non biodégradables certes, mais dont l'invention, selon Badinter, marqua un progrès décisif de l'émancipation féminine).

Pourquoi pas ? Il faut débattre de tout. On a parfaitement le droit d'opposer l'écologie au féminisme, les droits des femmes à ceux de la nature, et de fouiller, entre les deux, des oppositions ou des contradictions. On a parfaitement le droit de soutenir que l'émancipation féminine passe par le travail. Mais une petite chose est gênante, à chaque retour de Badinter sur la scène publique. Un détail. Trois fois rien. Mais tout de même. Une de ses "casquettes", comme on dit, n'est jamais rappelée par les intervieweurs fascinés (et encore pas par Demorand, en préalable à son interview de ce matin) : outre son estimable activité de philosophe et d'écrivain, Elisabeth Badinter, fille et héritière de Marcel Bleustein-Blanchet, fondateur de Publicis, est aujourd'hui la deuxième actionnaire, et la présidente du conseil de surveillance de la multinationale publicitaire.

Cela ne la prive évidemment pas du droit de penser, et d'écrire. On peut régner sur les pages en quadrichromie des magazines, sur les affiches porno soft des abribus, et faire profession de philosopher sur l'émancipation féminine. On peut, et la constance de Badinter témoigne de la sincérité de ses convictions. Mais ce double statut a toujours généré, dans la production philosophique badinterienne, un point aveugle : la violence de l'injonction publicitaire faite aux femmes. Crème-toi matin et soir, épile-toi pour ressembler aux actrices porno, sois aussi mince que les squelettes que tu vois défiler dans les pages mode, et consomme, consomme, consomme, achète, fais chauffer le chéquier, pour être enfin parfaitement, totalement libérée. Vu de ma fenêtre de matinaute mâle, cette injonction-là, qui se déploie à chaque dos de kiosque, à chaque coin de rue, semble au moins aussi terroriste que l'injonction à rentrer à la maison, et à revenir aux couches lavables. Mais Badinter, philosophe publicitaire, ne la voit pas.

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