Magazine créé par l'IA : l'ère du vide

Loris Guémart - - Coups de com' - Sur le gril - 15 commentaires

Tous les samedis, l'édito médias d'Arrêt sur images, cette semaine signé Loris Guémart, envoyé la veille dans notre newsletter hebdomadaire gratuite, Aux petits oignons : abonnez-vous !

Je suis désormais un "nomade du néant textuel", m'indique à la page 95 LHC - Les Heures Claires, le premier magazine français dont "99 % de son contenu" est "sculpté par l'IA". Toujours page 95, il poursuit : "Critiquez-nous ! Mais faites-le avec le scalpel de la précision, pas avec le marteau de la démolition." J'aurais bien envie, avec mon scalpel de la précision, de me lamenter, tel les meilleurs journalistes littéraires, de l'incroyable lourdeur de cette figure de style.

Mais je vais plutôt m'attarder sur le reste du contenu de cette malheureuse initiative rapportée par les Échos, qui s'est penché sur l'usage des grands modèles de langage ("LLM" en bon anglais) dans les médias. Nous devons donc LHC, magazine dont le numéro de novembre est expérimental mais qui "a vocation à être lancé en kiosque au printemps", à Rémy Rostan – et à la sponsorisation du cabinet de recrutement Easy partner. Fondateur qui se dit "assez surpris par ce que propose ChatGPT" auprès du quotidien économique.

Si je devais résumer sa centaine de pages, ce serait bien "néant textuel". On y trouve en effet, dans le désordre : des brèves sur les IA des grandes sociétés du numérique et leur utilisation par les marques de mode, un horoscope, des interviews de fondateurs de PME de l'IA, des fausses publicités, des tutoriels pour des IA génératrices d'images, un programme fitness, un édito psycho, une brève de voyage, une recette de tarte aux pommes, la "critique" par ChatGPT des Chroniques martiennes de Ray Bradbury, un portrait parodique de skieur après l'interview promotionnelle du responsable marketing de l'office de tourisme de Val Thorens.


Et là, vous allez me dire : mais Loris, ce sommaire est similaire à ceux de nombreux autres magazines présents dans les kiosques ! Une conclusion qui s'applique également au site Tech Generation, qui réécrit grâce à l'IA les textes de vrais sites spécialisés dans le numérique à l'initiative du consultant Ari Kouts. Et dont les Échos constate que ses textes "ressemblent à certains billets de blogs". Moins charitable que le quotidien économique, j'estime qu'ils ressemblent aussi beaucoup à de nombreux sites sur l'actualité du numérique. Et ses articles sont présents dans Google Actualités, pour parfaire le tableau.

Le problème est peut-être là. La multiplication des publicités rédactionnelles déguisées remplissant les sites web des médias, autant que la perte de tout esprit critique dans bien des rubriques de journaux, avait rendu suspect tout contenu journalistique sincèrement flatteur pour un produit ou service. Et la prolifération des magazines et des sites "d'actu" remplis de contenus écrits à la chaîne ou recopiés de communiqués de presse (oui, je pense à toi Reworld) les rend difficiles à distinguer d'un magazine écrit sans aucune âme par un grand modèle de langage.

À oublier que le journalisme, c'est d'abord apporter des informations nouvelles (ou à minima de fournir un éclairage alternatif, à l'instar de cet édito), en les contextualisant, et si possible en faisant preuve d'un minimum d'esprit critique, les médias l'ont rendu interchangeable avec une IA. "Cela permet aussi de rappeler l'intérêt de l'analyse, de l'enquête journalistique que des robots ne peuvent pas faire", commente Ari Kouts auprès des Échos. Je crains que la conclusion des patrons de presse les moins scrupuleux soit plutôt que les journalistes qu'ils emploient encore sont désormais presque totalement remplaçables par des générateurs de texte.

"L'arrivée de l'IA générative dans les rédactions est inévitable", assure-t-on ainsi chez l'Est Républicain (groupe Ebra). Où les plus précaires des journalistes de ce pays, les correspondants locaux de presse (CLP), voient désormais leurs textes relus, corrigés et titrés par un LLM dans l'une des agences locales du quotidien régional. Côté magazines, pour l'instant, Reworld n'a pas franchi le pas, même pour ses quiz, puisqu'il faut "de la créativité pour se distinguer", a indiqué la société aux Échos. Pour l'instant…

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