Le "Figaro" en pleine culture du viol

Pauline Bock - - Coups de com' - Sur le gril - 18 commentaires

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Sur la photo d'illustration, tirée d'un stock d'images, un homme, nu sous des draps aux côtés de ce qu'on devine être une femme mais dont on ne voit que les pieds, tire la tronche. "Beaucoup de couples se séparent car l'homme ne peut plus supporter de faire l'amour seulement une fois par semaine", explique un psychiatre en citation, mise en gras et en avant sur les réseaux sociaux. Ce titre culpabilisateur, accompagné d'une illustration aussi lourde que sexiste, ne provient ni de Cosmopolitan, ni de Biba, mais du Figaro.

Cliquez sur le lien de cet article de la rubrique Psychologie du journal, et l'info change, passant à l'interrogatif. "Sexe : Les hommes ont-ils réellement plus envie que les femmes ?" Figurez-vous qu'en fait, "bien davantage que les hormones, les stéréotypes de genre expliquent l'écart de désir affiché entre les deux sexes". On y découvre que le psychiatre qui pense que refuser un rapport à son mari mène au divorce s'appelle Philippe Brenot et qu'il a écrit... une BD sur "l'incroyable histoire du sexe". Il a également une chronique sur Sud Radio, où il déblatère sur des sujets tels que "l'homosexualité est-elle une maladie ?" ("Malheureusement, certaines thérapies de rééducation fonctionnent", dit-il en mai 2023) ou encore "Le sexe, une réalité biologique" ("Une guerre idéologique est en cours pour remplacer le sexe par le genre", déclare-t-il en mars 2023). Le client parfait pour le Figaro et ses obsessions réactionnaires, en somme.

Sauf que la suite de l'article le contredit complètement. D'abord en citant un docteur en psychologie et sexologue à l'Université de Liège qui, lui, rappelle que ce sont "les stéréotypes de genre" qui "suggèrent que les pulsions masculines doivent être purgées d'une manière ou d'une autre" – exactement le genre de stéréotype véhiculé par l'illustration abusive. Ensuite, en citant une étude de 2016, publiée dans le Journal of Personality and Social Psychology, qui démontre un biais social : "La société continue de valoriser le désir masculin, synonyme de bonne santé ou de virilité, et d'attendre implicitement plus de réserve chez la femme. Ce biais pourrait d'ailleurs expliquer pourquoi les hommes sous-estiment le désir sexuel féminin."

Si l'article en lui-même n'est pas faux, tendant à souligner et combattre les stéréotypes de genre, le journal qui le publie ne semble pas l'avoir compris. Illustrer d'une pareille façon cet article – publié alors que vient de s'ouvrir le procès de l'affaire Dominique Pélicot, qui a drogué sa femme pendant des années pour la faire violer par des dizaines d'hommes – c'est participer à ces stéréotypes de genre. C'est alimenter l'idée qu'au fond, les hommes ont "des pulsions", qu'on ne peut rien y faire ; que si vous vous refusez à votre mari, vous ne pourrez pas pleurer lorsqu'il finira par partir. C'est ça aussi, la culture du viol.

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