La Terre brûle, Mac Lesggy encourage l'inaction

Loris Guémart - - Déontologie - Sur le gril - 72 commentaires

Le nouveau présentateur de la météo sur M6 rabroué par deux spécialistes du climat

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La planète brûle littéralement, abattant record de chaleur sur record de chaleur depuis plusieurs jours. "S'ils suscitent l'émoi des experts, le monde des médias y semble presque insensible en France", a déploré l'association QuotaClimat, qui examine la couverture climatique des médias français. "S'il n'y a qu'une seule chose que les médias devraient diffuser aujourd'hui, a de son côté enjoint le 5 juillet l'agrométéorologue Serge Zaka. La Terre bat quotidiennement son record de température ABSOLUE (tous mois confondus) avec une marge statistiquement incroyable. 17.18°C, battant les 17,01 d'hier. Il faut changer l'échelle. Réagissons." 

Réagissons ? "Le réchauffement climatique causé par l'homme va aller en s'amplifiant pendant des décennies", commente Mac Lesggy sur Twitter. "Il est inarrêtable à court ou moyen terme", poursuit-il, concluant : "Seule une politique active d'adaptation permettra d'en limiter les conséquences." Cette petite musique, c'est celle d'un climato-optimisme technologique reposant sur l'adaptation humaine au dérèglement. Un récit médiatique et politique de plus en plus présent, qu'on décryptait dès 2021, ici illustré par l'animateur-vulgarisateur-publicitaire préféré de M6, toujours présent pour défendre l'agro-industrie française.

Cette défense de l'adaptation à un changement climatique inarrêtable sera-t-elle l'approche de sa nouvelle fonction au sein du groupe M6 ? Quelques heures plus tôt, lors de sa conférence de presse de présentation de la saison à venir, la chaîne s'était réjouie de faire de l'animateur de E=M6 le présentateur d'une  "météo instructive" qui luttera "contre les contre-vérités" sur le climat, dixit Guillaume Charles, chargé des antennes et des contenus du groupe M6. Pour un vulgarisateur scientifique et présentateur météo ("un choix contestable", regrette Libération), chargé de combattre "les idées fausses concernant le climat", il est des reproches qui pèsent plus que d'autres. 

En l'occurrence, ici, difficile de faire pire que d'être accusé de désinformation par deux chercheuses spécialistes du dérèglement climatique. C'est pourtant ce qu'il s'est passé hier. "Le réchauffement futur n'est pas acté par les émissions de gaz à effet de serre passée ou la réponse du climat. Si les émissions mondiales étaient mises à zéro, il n'y aurait quasiment pas de réchauffement supplémentaire", a dans un premier temps répondu Valérie Masson-Delmotte (reçue sur notre plateau en 2022). De quoi rendre un peu plus modeste l'animateur ? Pas vraiment. "Il n'existe malheureusement aucun consensus politique et/ou technique sur les moyens de baisser rapidement les émissions de gaz à effet de serre. Leur concentration dans l'atmosphère va donc augmenter, et le réchauffement climatique anthropique avec", lui a renvoyé Mac Lesggy. 

La suite ? "Bonsoir, votre message est identifié comme l'un des discours d'inaction («change is impossible»), en décalage avec l'état des connaissances", a cette fois-ci répondu la climatologue. En ajoutant une image et un lien vers une étude des différents types de discours aboutissant à retarder les actions combattant le dérèglement climatique. Avant de préciser, au cas où l'information ne serait pas suffisamment explicite pour Mac Lesggy et ses 82 000 abonné·es : "Il ne reflète pas l'état des connaissances concernant les limites à l'adaptation, et ne reflète pas l'état des connaissances montrant la capacité (options d'action dans tous les secteurs, politiques publiques) à infléchir les émissions de gaz à effet de serre." En général, quand on se fait moucher en public de cette manière, par les personnes mêmes dont on est censé vulgariser le travail auprès du grand public, on la met un peu en sourdine. 

Pas Mac Lesggy, qui a continué, tweet après tweet, à maintenir que "l'atténuation n'est, en pratique, pas à notre portée" (discours d'inaction, toujours), qu'à "un moment, il faut arrêter de se bercer d'illusions" (bis repetita placent). Ou toute autre variation du même discours, en contradiction directe avec les scientifiques qui travaillent sur ces sujets. De quoi en agacer une autre, de scientifique, en la personne de Magali Reghezza, géographe et membre du Haut conseil pour le climat (interviewée par ASI l'an dernier). "Nous vivons dans un monde où le monsieur choisi par M6 pour vulgariser les connaissance sur le climat fait la leçon à la vice-présidente du 1er groupe de travail du Giec, s'est-elle agacée. Heureusement, nous vivons aussi dans un monde où, en moins de 280 signes, ladite vice-présidente le rhabille pour l'hiver." Quelques tweets plus loin, elle précise : "La vulgarisation, ce n'est pas véhiculer les ambiguïtés sinon des mensonges au nom de la simplification." 

Jointe par ASI, Maghali Reghezza reste ébahie par la teneur de l'échange entre sa consœur climatologue et l'animateur. Certes, elle avait observé les critiques envers le travail de Mac Lesggy, "car il a eu des positions sinon climatosceptiques, au moins rassuristes, avec des affirmations contestables et très peu étayées". Mais en voyant, jeudi 6 juillet, Valérie Masson-Delmotte prendre la peine de répondre, elle imaginait que Mac Lesggy se plierait à l'analyse d'une des rares personnes sur Terre à connaître sur le bout des doigts le détail du 6e rapport du Giec, pour l'avoir supervisé. "Ça m'a rappelé le temps où Claude Allègre faisait la leçon à Valérie [Masson-Delmotte] sur les plateaux télé, avec ce côté masculiniste, sans aucune inhibition, analyse la géographe. On est dans une situation où des personnes qui n'ont aucune compétence pour dire quoi que ce soit font la leçon à la personne qui a écrit l'étude (le 6e rapport du Giec, ndlr) qui est commentée ! Ça m'a stupéfaite..." D'autant plus qu'un vulgarisateur comme Mac Lesggy a "une responsabilité supplémentaire", estime Magali Reghezza. 

"Comme d'autres vulgarisateurs, c'est quelqu'un qui est entré dans nos foyers quand on était gamins, il a aussi cette confiance qu'on accorde à ces personnages médiatiques, relève-t-elle. Valérie Masson-Delmotte ne fait que reproduire un consensus scientifique issu de dizaines de milliers d'articles scientifiques dans le monde entier. Attaquer la porte-parole avec cette morgue, cette arrogance, cette suffisance, alors même qu'il va être chargé de présenter ces sujets, de les vulgariser sur une chaîne de grande écoute, c'est tout de même assez inquiétant…" Mais au-delà de ce seul échange, "ça pose la question de la désinformation". Et la chercheuse de développer : "Malgré le temps que les chercheurs passent à faire le vrai du faux, le mal est déjà fait. C'est pour ça qu'on essaie de convaincre l'ensemble des médias que quand on laisse la parole à quelqu'un qui va émettre une erreur ou un mensonge à coups de punchlines, quand il parle devant cinq ou six millions de personnes, que voulez-vous qu'on fasse, même avec des debunks ?" Pas de quoi troubler Mac Lesggy, fer de lance d'une partie des vulgarisateurs scientifiques. Et tant pis pour l'action climatique. En avant l'adaptation avec M6 !


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