Mac Lesggy : blé, cochons, couvées, et mise en scène

Sherlock Com' - - Plateau télé - 60 commentaires

Bienvenue au salon (télé) de l’agriculture. En raison de l’annulation de la foire-exposition de la Porte de Versailles, toutes les chaînes ont rivalisé d’imagination pour montrer des vaches et des cochons. En plastique ou en 3D, ces animaux de la ferme se sont invités partout (sur TF1, France 2, France 3, France 5). Mais les téléspectateurs les plus chanceux sont indéniablement ceux de M6 : Mac Lesggy a réussi à les rassurer sur l’impact de l’agriculture conventionnelle. Pendant un an, les équipes de E=M6 ont suivi des agriculteurs pour savoir si nos “craintes concernant l’agriculture conventionnelle sont justifiées et si le bio est vraiment meilleur pour la santé”. Vous devinez la réponse ?

On a pris la clé des champs cette semaine...

Pour compenser l’annulation du salon de l’agriculture, les télés ont multiplié les programmes label rouge. Autant d’éditions spéciales qui ont donné pas mal de boulot à Jean-Michel Décor cette semaine.

Il a moulé une vache en plastique pour La Quotidienne de France 5...

… dessiné à la palette graphique une poule et une vache 3D pour le 13h de TF1.

Et carrément reconstitué toute une ferme sur fond vert pour Monseigneur Bern.

 Oui, pour l’occasion, notre châtelain cathodique est allé voir les paysans afin de désigner La ferme préférée des Français. Une ferme qui doit correspondre à tous les critères d’un feuilleton des années 1970.

Autant vous dire que ce n’est pas vraiment la ferme des 1000 vaches qui a gagné.

Quoi que, ça aurait pu. Car il faut sortir des idées reçues sur l’agriculture dite "conventionnelle". C’était justement l’objet de l’émission spéciale E=M6, présentée par Mac Lesggy.

Une émission, diffusée lundi 1er mars, et suivie par 1,8 million de téléspectateurs, ce qui permet à M6 d’être la troisième chaîne la plus regardée ce soir-làOn comprend pourquoi : Lesggy et son équipe ont mis les moyens en proposant "pour la première fois à la télévision, un grand voyage à la rencontre d’agriculteurs et de scientifiques." Pendant une année complète, "du semis jusqu’à la récolte", M6 a suivi trois agriculteurs qui cultivent du blé selon trois méthodes : "la conventionnelle avec engrais minéraux et pesticides, la bio, qui se passe de ces produits, et pour finir, une méthode plus originale, l’agriculture de conservation des sols où on ne retourne jamais la terre".

Et Mac Lesggy, euphorique, de conclure son lancement par cette phrase : "Ce soir, nous allons répondre à la grande question que nous nous posons tous : peut-on, aujourd’hui, avoir confiance en notre agriculture et en nos agriculteurs ? Préparez-vous à dire adieu à toutes vos idées reçues. Ce soir, c’est la science qui s’invite à votre table."

Ah, sacré Mac Lesggy ! On n’a plus besoin de le présenter ici. Ce "savant flou" a fait l’objet d’un précédent portrait d’ASI très complet. 

Animateur de l’émission "scientifique" de M6 depuis 1991, mais aussi propriétaire d’une agence de communication, Lesggy est engagé sur tout un tas de sujet : pro-OGM, pro-pesticides, pro-nucléaire civil. Les écologistes, les militants de L214, c’est pas trop son truc.

Mais bon, là, c’est différent, il a invité la science pour cette spéciale agriculture. Mettez vos bottes et votre blouse blanche, c’est parti.

La science, au service de l’agriculture

M6 a donc suivi trois agriculteurs :

Et Marie la conventionnelle, surnommée aussi la sirène du ballot de paille...

M6 les a suivis pendant plusieurs mois, notamment pendant l’hiver. N’est-ce pas Mac ?

A chaque étape de la production, en voix off, Lesggy rappelle les objectifs de l’émission : "Vous allez enfin savoir si vos craintes concernant l’agriculture conventionnelle sont justifiées et si le bio est vraiment meilleur pour la santé ?", "Qualité, santé, respect de l’environnement, qui sera le grand gagnant ? Vous le saurez à l’issue de cette grande enquête scientifique ?"

Scientifique, c’est le mot clé de la soirée. On va "comparer scientifiquement les qualités nutritionnelles des aliments" car "rien ne vaut une expérience scientifique" effectuée "grâce à des analyses scientifiques". Et qui dit sciences, dit blouse blanche, gants, laboratoire, appareils, petites pinces...

Et qui dit science, dit aussi observation..

Pour ces expériences scientifiques, Lesggy est aussi accompagné d’un agronome, Serge Zaka, bien reconnaissable avec son chapeau de cowboy.

Bref, tout le monde est prêt ? C'est parti...

Expérience 1 : le sol et le t-shirt

"Nous sommes nombreux à soupçonner leurs méthodes agricoles de nuire à l’environnement et de détruire nos sols, explique Lesggy. Ces craintes sont-elles justifiées ?" Pour le savoir, l'animateur va planter dans le sol de chaque agriculteur un t-shirt orange 100% coton pendant trois mois, histoire de voir s’il y a de vie là-dessous.

Planter, ça veut dire scientifiquement qu’il a pris une pelle…

Il a aussi penché sa tête...

Et ensuite, il a enfoncé le t-shirt...

Verdict trois mois après ? Le t-shirt de l’agriculture bio est en lambeau, et celui planté dans le champ conventionnel est presque intact.

 "Cela saute aux yeux, nos t-shirts n’ont pas été dégradés de la même façon", remarque Lesggy. 

Mais curieusement, il ne voit pas la même chose que nous pour le t-shirt de Marie la conventionnelle : "Je vois qu’il y a des trous", remarque l’animateur. "On observe qu’il y a quelques trous, quelques dégradations au niveau du t-shirt, donc il y a de la vie dans ce sol", observe le cowboy. "Ca veut dire que quand on dit, l’agriculture moderne épuise les sols avec ce type de culture, c’est faux, il reste de la vie dans le sol", renchérit l’animateur. "Alors, elle ne tue pas la vie, elle en ralentit ces propriétés. Mais il y a quand même de la vie", confirme le cowboy.

Pour les deux autres types d’agriculture, "c’est tout à fait logique" qu’il y ait davantage de vie. Mais ce n'est pas ce qu'il faut retenir : "Il y a toujours une vie biologique dans nos champs, quel que soit le type de culture même si on l’a vu, selon le type de culture, cette vie biologique va être plus ou moins intense", conclut Lesggy.

L’agriculture conventionnelle a donc réussi le premier test scientifique.

Scientifique, c'est vite dit. Cette séquence s’inspire de l’expérience du slip (ça ne s’invente pas). Une pratique assez courante : on plante un slip dans la terre pour vérifier qu’il y a de la vie. 

Pourquoi un slip ? Parce qu’il reste toujours l’élastique. Mais on peut penser qu’à 20h50 sur M6, ça faisait plus "scientifique" de remplacer le slip par un t-shirt.

Ca fait plus "scientifique" mais en vrai, ça ne l'est pas comme l'a reconnu elle-même la chambre de l’agriculture du grand-est : "Le test des slips est d’abord et avant tout un outil de communication permettant de mettre en avant l’activité biologique des sols agricoles. La comparaison de l’état de dégradation entre slips doit être faite avec beaucoup de précautions et sur des parcelles disposant de conditions pédoclimatiques similaires."

Bref, c’est avant tout un outil de communication et pas une expérience scientifique. Mais c’est pas grave, Lesggy va se rattraper avec la deuxième expérience.

Où sont les pesticides ?

A l’aide d’un laboratoire, Lesggy va mesurer la présence de résidus de pesticides dans les trois échantillons issus de nos exploitations.

Pour le blé de Ludo et Ludovic, aucun résidu. Et pour le blé de Marie la conventionnelle ? Suspense... 

"Rien non plus", déclare le scientifique. Incroyable...

"Rien, pas un nanogramme, rien (...) c’est une vraie surprise", s’étonne l’animateur. Lequel ajoute tout de même, en voix off, que "25% des échantillons de blé contiennent des traces de pesticides inférieures aux limites de l’Union européenne."

S’ensuit un dialogue savoureux entre le scientifique et Lesggy :

Lesggy : "Je pense que tous les Français pensent qu’à partir du moment où on met des pesticides dans une culture, on en trouve forcément la trace dans le produit final. Et en fait, ce n’est pas obligatoire."

Le scientifique : "C’est pas systématique."

Lesggy : "Ca, c’est une idée reçue qui s’effondre."

Enfin, qui s’effondre… Encore faut-il tomber sur les bons chiffres. Une étude de l’EFSA, l’Autorité européenne de sécurité des aliments, datant de 2017, indique que des résidus de pesticides ont été retrouvés dans 38% des échantillons analysés. Les 25% de Lesggy ? Ca correspond aux blés ne présentant qu'un seul résidu, comme l'a relevé le site Que Choisir.

Et en cherchant bien, on peut même trouver une étude sur les résidus de pesticides dans le pain ! C’était en 2019, le magazine 60 millions de consommateursavait analysé 65 pains différents, mis en vente en boulangerie et en grande surface. Résultats ? 50% de ces échantillons comportaient des résidus de pesticides.

Bref, 25%, 38%, 50%, en fonction de ce que l’on souhaite démontrer, il suffit juste de sélectionner le bon chiffre.

Et le goût ?

 De la vie dans le sol, pas de traces de résidus dans les grains de blé, tout se passe bien pour l’agriculture conventionnelle sur M6. Il ne reste plus qu’à goûter le pain !

Là, aussi, le protocole est très scientifique : Lesggy a réuni un panel de consommateurs pour déguster les baguettes.

 Une expérience qui consiste à mâcher du pain. Et à mettre un petit drapeau pour dire si on l’a bien aimé.

Verdict ? Eh oui, c’est la baguette fabriquée avec le blé conventionnel qui est considérée comme meilleure.

 Lesggy nous avait prévenu : "Préparez-vous à dire adieu à toutes vos idées reçues." De ce point de vue, on n’a pas été déçu. Mais à quel moment a-t-on considéré que le bio avait une incidence sur le goût ? En réalité, c’est une fausse question. Un meunier-expert, interrogé par M6 à la fin de l’émission, ne pouvait pas dire autre chose à propos des qualités gustatives du pain : "Il ne me semble pas que ce soit lié au mode de culture du blé." Bah non, c’est lié à la variété du blé. C’était bien la peine de faire venir un panel pour répondre à une fausse question.

Un peu plus tôt dans l’émission, Lesggy nous avait déjà fait le coup avec des oeufs issus de poules élevées en batterie, et de poules de plein air. Le panel les a goûtés… Et ô miracle, impossible de les distinguer. Normal, c’est aussi une fausse question : le problème n’est pas le goût, mais le bien-être animal.

Sous-couvert de science, Lesggy cherche donc à réhabiliter l’agriculture conventionnelle. Pour les cultures, mais aussi pour l’élevage. C’est la dernière séquence qui nous a marqué. E=M6 a aussi voulu répondre à cette question : 

Evidemment, Lesggy n’est pas allé dans une exploitation épinglée par l’association L214. D’ailleurs, il expédie le sujet en une phrase : "Les conditions d’élevage sont fixées par la loi et contrôlées régulièrement. Si certains éleveurs ne les respectent pas, comme certaines images choc ont pu le montrer, ils sont heureusement minoritaires." Ouf.

Il est quand même allé vérifier sur place. Allez chercher le popcorn (non bio, puisque ça a le même goût), on va vous rejouer la scène. 

Maman cochon et ses bébés

Intro : "80% d’entre nous s’inquiètent du bien être du cochon et pensent qu’il faudrait améliorer leurs conditions d’élevage. Ces craintes sont-elles fondées ? J’ai voulu le vérifier moi-même dans un élevage et avec des scientifiques." 

Lesggy et son éleveur entrent alors dans...

Avec, en fond sonore, un extrait d'une berceuse (véridique). 

 Cliquez ici avant d’entrer  (et laissez filer la playlist jusqu’à la fin de la chronique)

Lesggy en voix off : "Tout de suite, ce que je vois me frappe, ces truies ont l’air d’être en cage."

- Lesggy à l’éleveur : "La grande question : pourquoi la maman est enfermée dans une cage ?"

- L’éleveur : "Alors elles ne sont pas enfermées, elles sont juste bloquées pendant un certain temps." 

Lesggy en voix off : "Cet isolement temporaire a pour but de protéger les nouveaux-nés pendant leur premier jour." Ouf. On se demande comment l'espèce a pu survivre pendant tous ces siècles…

Et les petits cochons ? Ils sont sur une plaque chauffée à 30-35 degrés. "Regardez comme ils sont bien, ils sont couchés dessus, ils ne vont pas se mettre ailleurs", nous dit l’éleveur. Argument imparable : vu qu’ils sont enfermés, ils peuvent difficilement "se mettre ailleurs" nos amis cochons.

"Dernier point, quand on s’interroge sur le bien être des cochons, la castration des mâles. Elle éviterait à la viande l’apparition d’un goût désagréable, l’odeur du mâle entier", explique Lesggy en voix off.

"On va parler Yves, d’un sujet qui fâche : c’est la castration des porcelets", annonce l'animateur à l’éleveur. Coup de bol, regardez ces cochons. Regardez bien, c’est entouré à l’image : 

Ouf, cet éleveur ne les castre pas. Une castration effectuée à vif, ce que Lesggy a oublié de dire. Et la séquence de se conclure ainsi : "Ici, comme dans un tiers des élevages français, on ne castre plus les cochons."

C’est vrai. Mais on pourrait le dire autrement : dans deux tiers des cas, on castre les cochons à vif. Question de point de vue.

D’ailleurs, manque de chance, les caméras de M6 ont loupé un truc dans cette exploitation à propos du bien-être animal. Vous avez remarqué ?

Bah oui, Lesggy a oublié un petit détail : tous ces cochons ont la queue coupée, comme 99% des porcs en France (source Assemblée nationale). Les éleveurs procèdent à cette ablation pour éviter que les cochons se mordent la queue entre eux, se blessent et s'exposent à un risque d'infection. La France s’est fait tirer les oreilles par la commission européenne pour le maintien de cette pratique. C’est bête que M6 ne l’ait pas vu sur ses propres images. 

Allez courage bébé cochon, Lesggy et sa science veillent sur toi.

Devinette bio

Vous l’avez compris, dans l’émission de Lesggy, l’objectif était de démontrer que toutes les agricultures se valent. Valoriser l’agriculture conventionnelle et égratigner, au passage, le bio, telle était la stratégie. A cet égard, l’agronome cowboy va déclarer ceci : "Dans le cadre d’un scénario où toute la France passerait au biologique, ce serait un scénario qui ne serait pas tenable, puisqu’il faudrait beaucoup plus de terre agricole pour garantir une production, donc il va falloir défricher, déforester pour pouvoir avoir plus de champ."

Des propos accompagnés d’une belle image d'illustration. 

Si vous trouvez l’origine de ces images, on vous envoie des oeufs (en chocolat).

Lire sur arretsurimages.net.