Křetínský lâche "Marianne", l'extrême droite sur les rangs
Paul Aveline - - Financement des medias - Sur le gril - 25 commentairesTous les samedis, l'édito médias de Pauline Bock, aujourd'hui signé Paul Aveline, envoyé la veille dans notre newsletter hebdomadaire gratuite, Aux petits oignons : abonnez-vous !
La partie de Monopoly fait rage, et les journalistes continuent de trinquer. Nous vous racontions en février le pas de deux auquel se livrent Vincent Bolloré et Bernard Arnault. En mars, la tentative (pour l'instant repoussée) de Rodolphe Saadé de mettre ses médias à son service. En avril, c'est la rédaction de Marianne qui est sur le fil. L'actionnaire principal de l'hebdomadaire, Daniel Křetínský, aurait décidé de s'en séparer, info signée la Lettre. Trop "souverainiste", trop "radical", pas assez "européiste",pas assez macroniste en somme, Marianne ne plaît plus au milliardaire. Le jouet est cassé. Mais pour le faire savoir, point de réunion d'équipe, point d'annonce interne, point de discussions avec les syndicats.
C'est au Figaro que Denis Olivennes, président de CMI France, le consortium des médias Křetínský, a relayé les inquiétudes du patron : "Natacha Polony, excellente patronne de Marianne, que Daniel Křetínský a nommée il y a quelques années, a réussi à remettre [le journal] sur les rails. […] Elle l'a fait en radicalisant, au sens étymologique du terme, son positionnement… Il faut dire que plus Natacha Polony se rapproche de son lectorat, plus elle s'éloigne de Daniel Křetínský intellectuellement." Difficile de faire plus clair. En réponse, les journaliste de Marianne s'indignent de voir les décisions d'en haut étalées dans la presse sans en être avertis avant. Dans un communiqué, la Société des Rédacteurs de Marianne (SRM) "dénonce fermement la brutalité de ces méthodes" et "le flou et l'incertitude quant à l'avenir du journal" dans lesquels les journalistes sont maintenus.
Et comme au Monopoly, quand une rue est sur le marché, les acquéreurs se pressent. Mais les noms qui circulent "font frissonner" les équipes de Marianne, selon Libération. On les comprend. Vincent Bolloré serait déjà sur les rangs, rejoint par le moins connu Pierre-Édouard Stérin, fondateur de Smartbox (les petites boîtes cadeaux pour faire du parapente ou passer un week-end dans un moulin). Si l'on ne présente plus le premier, il faut s'arrêter sur le second, qui sort tout juste du bois. La Lettre révélait en février que depuis la Belgique où il vit, Stérin montait "un projet conçu pour promouvoir ses valeurs, libérales et conservatrices". Nom de code ? Périclès.
Dans une tribune parue en décembre dans les Échos, Stérin écrit : "Dans les tréfonds de notre société, au plus proche du peuple de France, se trouvent de nombreuses braises qui, attisées, pourraient faire émerger des flammes propices à l'embrasement du pays. Embrasement de valeurs longtemps oubliées, évacuées de nos sociétés car déléguées à notre État-Providence, relais inefficace de nos solidarités naturelles." Moins prophétique, et plus pragmatique, Stérin cherche aussi le sauveur providentiel, racontait l'Express en 2023 : "En homme d'affaires averti, il décide de faire le «tour du marché politique», selon ses mots, afin de décider sur quel cheval investir une partie de sa fortune. À sa demande, des rencontres sont organisées avec ceux dont il perçoit le potentiel : Marion Maréchal, François-Xavier Bellamy, Bruno Retailleau, Virginie Calmels, David Lisnard, Éric Zemmour…" L'extrême droite aurait-elle trouvé un nouveau financier ?
Dans ce marasme, il reste la solidarité de groupe. Comme BFMTV, RMC et la Tribune sont venues au secours de la Provence face à Saadé, les médias de Křetínský ont dû faire bloc pour soutenir Marianne. Ah, non. Pas une protestation de Sophie Davant (qui dirige le magazine S, par Sophie Davant, vous l'apprenez peut-être). Plus surprenant sans doute, rien non plus dans le magazine de la raison, qui "réunit un bataillon d'éditorialistes à la plume aussi pertinente qu'acérée pour passer l'information et les polémiques de la semaine au crible", Franc-Tireur. Pas un mot public de Caroline Fourest (également membre du conseil d'administration de CMI), de Raphaël Enthoven, ou de Christophe Barbier. Francs-tireurs mais pas trop, vieux restes peut-être de la guerre qui a autrefois opposé Caroline Fourest à Natacha Polony (nous vous le racontions ici) et qui avait conduit la première à quitter Marianne, signant la victoire (temporaire) de la seconde.
Bolloré, Arnault, Saadé, Křetínský et bientôt peut-être Stérin : la partie continue, malgré les protestations des uns, grâce au silence gêné des autres. Mais les règles sont pipées : ils jouent en équipe. D'un côté l'extrême droite conquérante, de l'autre les macrono-compatibles, les deux évitant soigneusement de se tirer dans les pattes avant 2027. Au milieu, les médias qui tombent les uns après les autres aux mains de milliardaires qui ont bien compris en regardant faire Bolloré que les limites n'existaient que pour être franchies.