Fourest et son "infiltré chez Soral" bataillent avec "Marianne"

Paul Aveline - - Intox & infaux - 39 commentaires

Enquête en deux parties sur un livre qui secoue la rédaction de "Marianne"

Escroc soralien pour les uns, infiltré et débrouillard pour les autres, Thomas NLend signe un livre-enquête sur les dessous du mouvement d'Alain Soral, préfacé et soutenu par la journaliste Caroline Fourest. Au point qu'elle a fait pression sur "Marianne" lorsque l'hebdo a sorti une enquête sur NLend, accusé par deux producteurs de cinéma de les avoir escroqués. Or Fourest est membre du conseil de surveillance du groupe CMI, qui possède "Marianne" auquel elle collabore... Enquête.

L'histoire est complexe, mais peut se résumer à une question : qui est vraiment Thomas NLend ? Tantôt scénariste, auteur, mais aussi mis en examen dans un volet de l'affaire Takieddine, compagnon de route d'un barbouze connu comme le loup blanc, Thomas NLend sort un livre, Les bouffons de la haine (Grasset, 2022), dans lequel il raconte ses années passées  – entre 2011 et 2014 – au cœur d'Égalité et Réconciliation, le mouvement d'Alain Soral, ce militant antisémite acharné multi-condamné par la justice. Le livre bénéficie d'un gros coup de pouce médiatique de la journaliste Caroline Fourest, qui en signe la préface. Ce soutien se traduit notamment par la publication des bonnes feuilles et la Une du numéro 8 de Franc-Tireur, magazine auquel collabore Caroline Fourest et dont elle est "conseillère éditoriale". Thomas NLend était également présent à la soirée de lancement de Franc-Tireur, le 16 novembre, comme en atteste une photo postée par Caroline Fourest sur son compte Instagram. Il y apparaît de dos, face à Patrick Cohen, qui échange avec Fourest.

Mais Caroline Fourest collabore aussi au magazine Marianne, et siège même au conseil de surveillance du groupe CMI (dirigé par Daniel Kretinsky) qui possède Marianne et Franc-Tireur. Or Thomas NLend est en conflit ouvert avec Marianne, qu'il poursuit en diffamation. 

Thomas NLend, alias Thomas Pone, alias Mathias Cardet

En août 2020, Marianne publie une enquête, signée Gabriel Libert, sur un conflit qui agite le monde feutré du cinéma ; Gabriel Libert a refusé de s'exprimer auprès d'ASI. Deux producteurs, Marc Fiszman et Christophe Cervoni, accusent Thomas NLend de les avoir escroqués en empochant 160 000  € pour l'écriture d'un scénario qu'il n'aurait jamais rendu, avant de plier bagages. De son côté, Thomas NLend affirme avoir rendu le travail demandé, mais faire face à un refus de payer des deux producteurs. Ce que les deux producteurs ignoraient, disent-ils, c'est que celui qui se présentait comme Thomas Pone, un scénariste ami de l'humoriste Ahmed Sylla, était en fait Thomas NLend, figure bien connue des milieux soraliens et des spécialistes de l'extrême droite. "Au départ, j’ai un litige commercial avec lui, raconte Marc Fiszman à Arrêt sur images. En réglant ce litige, je m’aperçois que j’ai pas du tout signé avec Thomas Pone, comme il se présentait, mais avec Thomas NLend. Et au moment où je me suis rendu compte de qui il était vraiment, j’ai appelé tout Paris, pour leur dire de se méfier." 

De son côté, Thomas NLend affirme dans son livre que les deux producteurs connaissaient sa vraie identité, et nie toute escroquerie. Suite à la publication de cette enquête, Thomas NLend attaque en diffamation Marianne ainsi que les deux producteurs avec qui il est toujours en litige. Dans la plainte, que nous nous sommes procurée, NLend réclame 150 000 € de dommages et intérêts pour préjudice moral et professionnel. Auprès d'ASI, Thomas NLend affirme également avoir déposé plainte contre les deux producteurs pour "harcèlement moral". Il accuse par ailleurs Gabriel Libert de travailler "sur commande" pour Marc Fiszman et Christophe Cervoni.

Pourquoi le tout-Paris devrait-il se méfier ? Thomas NLend est déjà connu sous un autre nom, celui de Mathias Cardet. En 2014, Le Monde, Mediapart et Libération (qui donne pour la première fois le vrai nom de Thomas NLend) publient tour à tour trois enquêtes sur l'entourage d'Alain Soral, suite à une manifestation de soutien à la cause palestinienne qui avait été le théâtre de violents affrontements dans Paris. Au cœur de la manif, expliquent les trois médias, Gaza Firm, un groupe soutenu par Soral (qui y voyait une "ligue de défense goy", non-juive). Si Gaza Firm réfute alors tout lien avec Soral, Le Monde révèle que l'un des porte-voix du groupe n'est autre que Mathias Cardet, alors proche de Soral. À l'époque, Mathias Cardet a déjà publié deux livres : Hooliblack, naissance d'un hooligan (Hugo et cie, 2011) et L'effroyable imposture du rap, publié en 2013 aux éditions Kontre Kulture, créees et dirigées par Alain Soral. Ce deuxième livre est d'ailleurs toujours en vente sur le site des éditions KK. Cardet donne à cette époque des conférences avec Soral, dont certaines sont toujours en ligne.

Retour en 2020. Alors que Marianne s'apprête à publier son enquête sur le duo Sylla-NLend, l'avocat de Thomas NLend adresse une mise en demeure à la direction du journal. Dans un courrier envoyé à Frédéric Cassegrain, directeur de la publication de Marianne, à Natacha Polony, directrice de la rédaction, et à Étienne Bertier, président du conseil de surveillance de CMI (qui possède Marianne), l'avocat de NLend demande à "surseoir à la publication de l'article"Caroline Fourest s'active elle aussi en coulisses. Elle a déjà pour projet de préfacer le livre de Thomas NLend sur Alain Soral, et voit d'un mauvais œil qu'une enquête vienne écorner l'image de son coauteur. Selon nos informations, elle tente alors d'influencer la rédaction pour qu'apparaisse une donnée capitale : Thomas NLend n'est pas un ancien soralien, mais aurait en réalité infiltré Égalité & Réconciliation pour le compte des services de police français. 

La journaliste, qui se porte garante de l'intégrité de Thomas NLend, propose à la rédaction de Marianne le numéro d'un témoin de moralité de NLend : son agent de liaison au sein du SIAT, le Service interministériel d’assistance technique, entité dédiée à la réalisation de missions d'infiltration. Aussitôt dit, aussitôt fait. L'agent en question, qui se présente sous le pseudonyme de "Monsieur Antoine" et comme un ancien du SIAT, confirme les dires de NLend : il a bien rémunéré Thomas NLend pour qu'il l'informe de l'intérieur sur le mouvement d'Alain Soral. 

S'il est impossible pour le magazine de vérifier l'identité de "Monsieur Antoine", pas plus que la véracité de ses dires, Marianne ajoute quand même une mention de cette discussion à son enquête : "Une source policière nous indique qu'il aurait en effet apporté des informations et mené deux actions précises au cours de la première moitié des années 2010." L'enquête paraît, elle est mentionnée en couverture du magazine. À sa lecture, difficile de dire qui est vraiment NLend. Dans cette enquête, il n'est fait mention nulle part du fait que Thomas NLend est associé à Caroline Fourest dans un projet de livre. Par ailleurs, en interne, personne ne met en doute la crédibilité d'une source fournie directement par Caroline Fourest, qui semble avoir vérifié l'histoire de Thomas NLend. 

Marianne ne le sait pas à l'époque, mais son journaliste vient de se faire berner. "Monsieur Antoine", l'ancien agent du SIAT garant de moralité de NLend, n'est autre que Noël Dubus, escroc professionnel et barbouze à ses heures, et dont le nom apparaît dans certaines des affaires les plus sulfureuses des dernières années.

L'étrange "Monsieur Antoine"

En août 2021, Marianne flaire l'embrouille. Un an après l'épisode NLend-Sylla, le magazine publie, toujours sous la plume de Gabriel Libert et Alain Léauthier, une enquête fleuve sur un "escroc, mytho, barbouze" mis en examen dans l'affaire Takieddine (voir le deuxième épisode de cette enquête) : Noël Dubus, alias Monsieur Antoine, plusieurs fois condamné pour "escroqueries, association de malfaiteurs ou trafic de fausse monnaie", écrit Marianne. Des informations qu'ASI a pu confirmer. Dubus, écrit Marianne, se présente tantôt comme "coordinateur du renseignement auprès de la Cour pénale internationale (CPI), correspondant de la DGSE, des douanes ou de l’antiterrorisme." 

Et le magazine de faire son mea culpa, à propos de sa précédente enquête sur Thomas NLend : "Recommandé pourtant par des gens sérieux, un certain «Monsieur Antoine» […] nous avait confirmé la version rocambolesque de NLend. […] Sauf qu’à l’époque nous ignorions que Noël Dubus et « Monsieur Antoine » ne faisaient qu’une seule et même personne…" Une pique discrète à Caroline Fourest, directement visée par l'expression "recommandé par des gens sérieux". Au final, le magazine tranche le cas Dubus : "Faux agent mais véritable indic." Encore une fois, aucune mention n'est faite du livre que Caroline Fourest préface, qui doit sortir quelques semaines plus tard. 

Mais la rédaction bout. "La recommandation venait de Caroline Fourest, personne n'aurait pu s'attendre à ça", s'agace un journaliste de Marianne. Nouveau retournement de situation. Après la publication de l'enquête de Marianne sur Noël Dubus, Thomas NLend adresse un droit de réponse au magazine dans lequel il déclare désormais qu'il n'a "jamais prétendu travailler pour la DGSE ou le SIAT." Le magazine répond à son tour, affirmant que NLend s'est bien prévalu du SIAT dans un mail envoyé à Natacha Polony. Qu'en est-il ? Ce mail, que nous avons pu consulter, a bien été envoyé par Thomas NLend le 28 juillet 2020, deux jours avant la publication de l'enquête de Gabriel Libert. Le scénariste écrit : "En effet, je m'appelle Thomas Ngomberi-NLend et j'ai été une figure de la galaxie soralienne sous le nom de Mathias Cardet. Avec un léger bémol, et non des moindres, c'est que je suis rentré dans cette galaxie en tant qu'infiltré civil sous l'égide d'un officier du SIAT [...], Mr Antoine." En interne, plusieurs journalistes louent le rôle de Natacha Polony dans ce mic-mac. "Elle a tenu bon, et courageusement", lâche une source, en soutenant le travail de son journaliste Gabriel Libert à plusieurs reprises, face à NLend et son avocat. 

Que disent Fourest et NLend dans leur livre ?

Toute cette affaire aurait pu en rester là si un nouveau mail n'avait été adressé à l'ensemble de la direction du journal par Gabriel Libert, le journaliste auteur des deux enquêtes sur NLend et Dubus. Le 29 octobre 2021, le journaliste adresse une longue lettre à Caroline Fourest, Frédérick Cassegrain, Natacha Polony, Étienne Bertier et Valérie Salomon, présidente de CMI. Dans ce courriel, il demande des explications à Caroline Fourest sur le déroulé des événements. A-t-elle vérifié que "Monsieur Antoine" était bien un officier de police avant d'orienter la rédaction vers son témoignage ? Le journaliste y affirme également que Caroline Fourest aurait déclaré que "Marianne allait se ridiculiser car une enquête très recoupée allait bientôt sortir". Faisait-elle alors allusion au livre qu'elle préparait avec Thomas NLend ? En tout cas, Gabriel Libert s'estime dans ce message "mis sous pression" par les "démarches infructueuses" de Caroline Fourest pour "stopper l'article". À notre connaissance, aucun des récipiendaires de ce mail n'a pour le moment répondu à son auteur.

Le mail n'a en tout cas aucun effet, puisque Caroline Fourest et Thomas NLend continuent de collaborer, et se rendent ensemble à la soirée de lancement de Franc-Tireur (voir plus haut). Le 12 janvier, leur livre commun paraît, et Marianne y est largement évoqué. D'abord sous la plume de Caroline Fourest. Dans sa préface, elle écrit : "Des producteurs avec qui il est en procès pour un scénario impayé ont appelé tout Paris, et plusieurs journalistes, pour l’accuser d’être « un ancien soralien » infiltrant le cinéma français afin de servir une propagande islamiste ! Comique quand on le connaît. Moins quand ces énormités sont reprises." Marianne est directement visé. Encore plus directement dans le chapitre que Thomas NLend consacre à cette affaire : "Une version rocambolesque que va acheter un journaliste de Marianne. [...] Un journaliste plus rigoureux aurait pu facilement démonter cette version." 

Une troisième version sur Dubus

Nouveau revirement, cette fois concernant Noël Dubus. Si Dubus, NLend et Fourest affirmaient en 2020 que "Monsieur Antoine" était bien un ex-agent du SIAT, dans le livre, l'affirmation est beaucoup moins précise. Dans sa préface, Caroline Fourest écrit : "Dans le cas de Thomas NLend, l’homme qui lui a proposé d’infiltrer Égalité & Réconciliation [...] n’est pas policier. Plutôt un électron libre qui rend service aux Services. [...] Ce recruteur se fait appeler «Monsieur Antoine». Mais son vrai nom, Noël Dubus, n’est pas difficile à trouver." Elle ajoute un peu plus loin : "Officiellement, il (Thomas NLend, ndlr) n’a jamais été ni recruté ni missionné. Dans cette histoire, il n’est que l’indic d’un indic." Une expression, "l'indic d'un indic", que Thomas NLend reprend à son compte dans l'ouvrage. Interrogé par ASI pour savoir ce qu'il savait vraiment de Noël Dubus, Thomas NLend explique avoir cru qu'il était vraiment un agent "officiel", établi au sein des services. 

Pourquoi Caroline Fourest ne précise-t-elle pas qu'elle a envoyé Marianne sur la trace de Dubus ? Ou que NLend s'est lui-même prévalu du SIAT auprès du journal dans lequel elle tient une chronique régulière ? Réponse dans la préface, toujours : "Thomas a lui-même longtemps cru que Noël Dubus travaillait comme officier du SIAT, avant de comprendre que son statut relevait d’une zone grise bien moins officielle". Une version qui étonne en interne. "Elle croit Dubus et NLend sur parole et le présente comme l’indic d’un indic. C'est abracadabrant. On sait qu’un indic c’est codifié, donc indic d’un indic c’est délirant, ça n’existe pas. C’est la porte ouverte à n’importe quoi", tance un journaliste. Un autre élément laisse planer le doute quant aux relations qui unissent NLend et Dubus. Dans son livre, Thomas NLend explique qu'après avoir coupé les ponts avec Dubus, il reprend contact avec lui en 2020 pour que celui-ci confirme auprès du grand public qu'il était bien infiltré chez Soral : "Pour la première fois aussi, il me raconte un peu sa vie, qu’il s’appelle en réalité Noël Dubus."

NLend aurait donc identifié Dubus en 2020 seulement ? L'affirmation ne tient pas la route, au vu des nombreux éléments recueillis par ASI, ce que reconnaît Thomas NLend dans la deuxième partie de cette enquête. La relation NLend Dubus remonte à une dizaine d'années au moins, et sera au cœur de ce deuxième volet. Les deux hommes sont désormais mis en examen ensemble dans l'affaire Takieddine, accusés d'avoir organisé la rétractation de l'homme d'affaire libanais dans le dossier du financement libyen de la campagne de Nicolas Sarkozy en 2007. Mais leur première rencontre daterait de 2011. Thomas NLend est alors mêlé à l'affaire Georges Tron, ex-maire de Draveil accusé de viols et d'agressions sexuelles avant d'être condamné à 5 ans d'emprisonnement dont trois ferme. À suivre ici. 

Fourest attaque Marianne, les journalistes demandent son départ de l'hebdo

Dans un billet de blog publié le 22 janvier, destiné à répondre à cette enquête en deux volets, Caroline Fourest s'en prend avec virulence à l'hebdomadaire Marianne. Et en particulier à son rédacteur en chef adjoint Gabriel Libert, "venu de VSD et de l’école paparazzi". Tout en reconnaissant avoir essayé d'influencer son travail à propos de NLend, elle assure que Libert a témoigné dans un procès commercial contre lui, comme une preuve de son manque d'impartialité. Le 24 janvier, la Société des rédacteurs (SDR) de l'hebdomadaire "dénonce vivement les attaques de Caroline Fourest"dans un communiqué. "Il est hautement problématique qu'une chroniqueuse de Marianne et membre du conseil de direction fasse pression, accable et attaque un des journalistes de sa propre rédaction, critique la SDR. Elle ne pouvait ignorer que son statut au sein de CMI serait de nature à intimider notre journaliste. En parallèle, elle soutient un homme qui attaque notre journal en diffamation." Les journalistes démentent tout témoignage de Libert dans un procès commercial contre NLend, et concluent : "Sa position au sein de Marianne paraît intenable."

Dans un billet de blog publié le 27 janvier 2022, Caroline Fourest annonce se retirer du conseil de surveillance du groupe CMI, propriétaire de Marianne. Une décision finalement entérinéee par le groupe CMI dans un procès-verbal du 10 février 2022, et que nous nous sommes procurés. La journaliste affirme également se "réserver le droit de porter plainte" contre Gabriel Libert, en réparation du "préjudice subi" par toute l'affaire. 

Joints par ASI, ni Caroline Fourest, ni Natacha Polony, ni Frédérick Cassegrain, ni Étienne Bertier, ni Valérie Salomon n'ont donné suite à nos sollicitations. 

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