Au "Figaro", certains services en roue libre contre le climat
Pauline Bock - - Médias traditionnels - Déontologie - Sur le gril - 31 commentairesTous les samedis, l'édito médias de Pauline Bock, envoyé la veille dans notre newsletter hebdomadaire gratuite, Aux petits oignons : abonnez-vous !
Dans le dernier numéro hors-série du Figaro Histoire, "Aux sources de la civilisation occidentale : ce que nous devons à l'antiquité gréco-romaine", un article d'Olivier Postel-Vinay (déniché par l'association Quota climat) aimerait vous rassurer : la sécheresse actuelle, "qualifiée non sans raison d'exceptionnelle", n'a en fait rien de si grave. Ouf !
"Non sans raison, mais de quelle exception parle-t-on ? Remontons dans le temps", écrit le journaliste et essayiste – qui n'est donc ni climatologue, ni historien. Il relate plusieurs "épisodes de vagues de chaleur" survenus dans l'histoire de France ("En 1921, il a fait si chaud que la revue du 14-Juillet a été annulée à Paris" – terrible) et détaille le rôle de diverses sécheresses dans la chute d'empires très variés (Mycènes, Nouvel Empire égyptien, Mésopotamie…). Bref, il suffit de prendre un peu de recul historique, nous dit-il : "Si j'en reviens à la période de sécheresse que notre pays connaît actuellement, il est bien clair que le qualificatif «exceptionnel» doit être apprécié avec modération."
Nous y voilà. Il faut dire qu'en relativisme climatique, Olivier Postel-Vinay est un champion : il est l'auteur de La Comédie du climat. Comment se fâcher en famille sur le réchauffement climatique (JC Lattès, 2015), et de Sapiens et le climat. Une histoire bien chahutée (Les Presses de la Cité, 2022). À grands renforts de "graphiques rassurants" glanés sur la page Wikipedia des sécheresses en France (dont un qui s'arrête en… 2018, comme c'est pratique), et d'anecdotes sympathiques (lors du "premier réchauffement global" en 127 000 avant notre ère, "les calottes glaciaires du Groenland et de l'Ouest antarctique avaient alors plus fondu qu'aujourd'hui" et "des hippopotames se prélassaient dans la Tamise"), Postel-Vinay l'affirme au lectorat du Figaro : en fait, ce n'est pas la catastrophe, "le réchauffement actuel est modéré et nullement sans précédent".
S'il admet que les gaz à effet de serre "jouent un rôle dans le réchauffement climatique, encore que certains physiciens en doutent", il ajoute tout de suite qu'"il y a gros à parier que l'évolution des forces naturelles y est pour beaucoup". Source ? On n'en aura pas, trop occupé qu'est l'essayiste à conclure : "Les élites du monde occidental se sont laissé persuader que nous vivons à l'heure actuelle une crise climatique gravissime exigeant de prendre des mesures radicales." Ne soyez pas des moutons convaincus que l'heure est grave et que le changement climatique est le plus grand défi auquel fait face notre civilisation ! Soyez plutôt des hippos dans la Tamise, en plus l'eau est chaude, venez, on se prélasse tranquillou.
Puisqu'Olivier Postel-Vinay fait des recherches sur la sécheresse en France sur Wikipédia, ASI est allé faire un tour sur sa page de l'encyclopédie en ligne. On y apprend que la chronique qu'il écrivait dans Libération jusqu'en 2016 a cessé en raison, selon le journal, de ses "opinions proches des climatosceptiques", "à la suite d'un article mettant en doute le consensus sur l'augmentation des cyclones". "Là-dessus, je me suis calmé", assurait-il à Libédans un article en 2020.
Cela reste à prouver, mais l'argument a dû suffire pour le Figaro, dont les suppléments comme ce hors-série ou le Figaro Vox semblent ces temps-ci se spécialiser dans la publication de contenus semant le doute sur le dérèglement climatique (alors même que le journal relate, lui, l'urgence climatique). Pas plus tard que le 14 juin, le Figaro Vox accordait une tribune à Rafaël Amselem, illustre inconnu "chargé d'étude du think tank GénérationLibre". Qui s'indignait : "La journaliste Salomé Saqué, sur le plateau de l'émission C ce soir, a fait une analogie entre économie de guerre et urgence climatique." Problème : c'est faux, Salomé Saqué n'a jamais défendu l'idée de mettre en place une "économie de guerre", et c'est elle-même qui le dit. "Au contraire, dans cette émission j'expliquais pourquoi le terme d'économie de guerre est problématique, il suffisait juste de faire son travail et de la regarder, a-t-elle tweeté. Le journalisme selon le Figaro : écrire un papier entier sur la base de quelque chose que je n'ai… jamais dit."
Rien d'étonnant de la part du Figaro Vox, qui s'est récemment illustré via des tribunes similaires clamant que "l'ISF climatique serait une catastrophe" ou encore que "la planète n'a pas besoin d'ISF climatique mais d'innovations technologiques" (par l'inénarrable Olivier Babeau, dont vous parlait Maurice Midena en février). Au Figaro, entre les services "Sciences & Environnement" et celui du Figaro Vox, le climat doit être glacial.