Crise climatique : le "bon sens" de CNews suffira pour faire face

Sherlock Com' - - Plateau télé - 32 commentaires

Regarder la première chaîne d'info de France a sans doute quelque chose de rassurant. Pendant les trois jours de canicule du début de la semaine, nous nous sommes rafraichis devant CNews. Entre deux OQTF et l'anniversaire de Line Renaud, Pascal Praud et ses amis ont calmé notre éco-anxiété. Certes, il fait un peu plus chaud, mais il suffit de "s'adapter" (aller au ciné, dans un parc ou une grotte), faire preuve de "bon sens" et tout ira bien. Tout ira bien, si on ne cède pas aux délires des "wokistes" qui veulent changer de modèle.

"L'été s'ra chaud ! L'été s'ra chaud ! Dans les t-shirts, dans les maillooooots. D'la Côte d'Azur à Saint-Malo, L'été s'ra chaud ! L'été s'ra chaud !" Allez, à vous !

"C'est sympathique, y'a plein de musique en lien avec la chaleur", nous annonce Romain Desarbres, le présentateur de la matinale de CNews, ce lundi matin. Il le sait, ces trois prochains jours vont être très chauds. Mais que voulez-vous… "On peut encore se réjouir du beau temps ou alors c'est suspect ?", feint de s'interroger le journaliste.

"Il va faire très beau et très chaud aujourd'hui sur toute la France. Est-ce que cela vous inquiète ? Ou trouvez-vous cela normal en été ?", se demande l'animateur. Une vraie question posée aux téléspectateurs de CNews qui peuvent flasher le QRCode afin de donner leur avis :

Du lundi 30 juin au mercredi 2 juillet, nous avons regardé CNews, la première chaîne d'info de France (et la 5e chaîne nationale au mois de juin, nouveau record d'audience). Trois jours chez Bolloré, c'est l'assurance de croiser des OQTF, des agresseurs, des cambriolages, une fusillade, une rixe, Sarah Knafo, Marion Maréchal, Jordan Bardella, les frères musulmans, l'islamisme, la radicalisation, Bruno Retailleau (avec "son bilan encourageant"), et au beau milieu Line Renaud, qui fête ses 97 ans.

Mais pendant ces trois jours, les températures extérieures ont également grimpé. Et si CNews ne parle quasiment jamais de climat comme vous l'a expliqué notre collègue Clara Barge (seulement 2,2% du temps d'antenne en juin, d'après les décomptes de l'association Quota Climat), eh bien là, c'était difficile de passer à côté…


"Comment faisaient les anciens ?"

Sur CNews, quand on évoque le changement climatique, rien n'est alarmant. On ne parle pas de l'élévation du niveau de la mer, de la baisse de la biodiversité, de la propagation des maladies à cause de l'extension des zones humides. Non, sur CNews, il faut d'abord dédramatiser cette histoire de changement climatique en rappelant qu'il a déjà fait chaud auparavant.

"Je suis toujours surpris par ces poussées de fièvre face à un été qui va nous imposer pendant deux ou trois jours une canicule, comme il nous impose une canicule tous les cinq ans, tous les dix ans, explique par exemple Ivan Rioufol. (...) Le 1er juillet 1793, le jour de la terreur, il y avait 40 degrés à Paris. Donc ce n'est pas non plus une nouvelle affaire."

Même analyse historique de Marc Touati, qui est remonté moins loin : "Moi j'ai regardé, dans les années 1940-1950, il y avait ces pics de chaleur, y compris à Paris à 41 degrés. Parce qu'on a l'impression que c'est nouveau, mais ce n'est pas nouveau, ça s'est déjà produit. Sauf qu'on a tous nos wokistes qui disent : « c'est nouveau ». Mais ça s'est déjà produit, faut pas l'oublier."

Pour Georges Fenech, avec ce réchauffement, "on fait des psychodrames" : "Quand il fait froid, il fait trop froid. Quand il pleut, il pleut trop. Et quand il fait chaud, il fait trop chaud". Et gna gna gna. Faut arrêter de se plaindre. "Le côté pleurnichard (...), c'est affligeant, confirme Vincent Hervouët. On a l'impression d'un pays tellement fragile, tellement faible, tellement minable, en train de geindre."

Le vrai problème pour Pascal Praud, c'est "notre rapport à la nature". La propension de l'homme à la détruire ? Pas du tout : il constate qu'on ne supporte plus cette nature. "Comment faisaient les anciens ? (...) Le rapport à la nature était différent avant", affirme l'animateur. "Effectivement, c'est pas agréable [la chaleur], on fait un effort, ce qu'on faisait jadis, on prend sur soi". Et on arrête de se plaindre.

Et quand on lui demande comment on peut se rafraîchir, ça le fait bondir : "Bah tu ne te rafraichis pas en fait. Tu fais comme tout le monde, tu prends une douche d'eau froide et tu n'en fais pas un drame".

"C'est incroyable, on ne veut plus se faire mal, abonde Marc Touati. Dès qu'il fait chaud ou trop chaud, on a peur, il faut se calfeutrer. Quand il fait froid, pareil, on ne bouge pas. Évidemment que c'est compliqué, mais il faut s'adapter". S'adapter, le mot est lâché. 

Puisqu'il est devenu difficile de totalement nier le changement climatique, le discours déroulé par CNews pendant trois jours est simple : d'abord dédramatiser, puis s'adapter.

"Adapter notre quotidien", une question de "bon sens"

Quelle que soit l'heure de la journée, les éditorialistes ont répété la même chose :  "Tout est une question d'adaptation, c'est du bon sens", "On va devoir apprendre à vivre avec ça", "On va être obligé d'adapter nos quotidiens". Sur CNews, le changement climatique, "ça doit être géré de manière neutre, comme un bon père de famille : [avec] du bon sens, tout simplement."

Premier réflexe d'adaptation donc : rechercher des "îlots de fraîcheur". C'est  la mission de Matthieu, le reporter de choc de CNews.

Toute la journée, Matthieu va parcourir la capitale pour dénicher ces "îlots de fraîcheur" : dans un cinéma climatisé, dans une salle de sport climatisée, dans un hôtel climatisé. L'un de ses collègues en région va même dénicher un lieu auquel on ne pense pas assez. 

Autre solution : croiser les doigts et attendre. Elisabeth Lévy, spécialiste climat : "J'espère que si Darwin avait raison, nous-mêmes, nos corps vont s'adapter et on va supporter mieux la chaleur, à moins qu'on soit devenu une espèce disons sotte, qu'on n'est même plus capable de s'adapter."

Rachel Kahn, l'éditorialiste experte du contrôle C / contrôle V, estime aussi qu'il "faut s'adapter". Mais attention, "la chaleur, ce n'est pas quelque chose d'idéologique en fait. La chaleur, ça ne vote pas à droite ou à gauche".

"L'adaptation ne doit pas être idéologique mais pragmatique", confirme Eugénie Bastié.  Et être pragmatique, c'est s'en remettre au progrès technique : Rachel Kahn place beaucoup d'espoir "dans le domaine de la recherche" et dans "la start-up nation". Exemple ? "Aujourd'hui, on a des climatiseurs qui causent des problèmes. Mais si on investit sur la recherche, sur le long terme, on aura peut-être des climatiseurs qui n'auraient pas d'impact aussi néfaste sur l'environnement." Oui, c'est la technologie qui nous sauvera.

Et les politiques publiques ? Sur CNews, comme ailleurs, elles sont absentes du débat.

La baisse du budget sur les questions d'environnement et les nombreux reculs de ces derniers mois en France ? Rien sur CNews. Les reculs des Européens sur à peu près tous les sujets écologiques ? Non plus. 

En même temps,  comme la chaleur n'a pas de parti, CNews ne politise rien. Sauf quand il s'agit de créer une polémique de toute pièce, permettant d'alimenter toutes les tranches d'infos de la chaîne.

Le pragmatisme vs l'idéologie des écolos

Lors de cette phase de canicule, Marine Le Pen a proposé un grand plan "climatisation" pour les services publics (écoles, hôpitaux, Ephad). Un peu court pour l'écologiste Marine Tondelier, laquelle a ironisé sur X

 Il n'en fallait pas tant pour que CNews boucle sur le thème : "la climatisation est d'extrême droite". De quoi provoquer un coup de chaud à Pascal Praud.

"La climatisation est-elle d'extrême droite ?" Tondelier n'a jamais dit ça, elle a même précisé qu'elle était favorable à la climatisation des lieux prioritaires dans le cadre d'une politique écologique plus globale. Seulement voilà, sur CNews, s'écarter du "bon sens" pour évoquer un peu de politique, c'est automatiquement perçu comme de l'idéologie. 

Olivier Delagarde, le transfuge de Franceinfo qui a parfaitement intégré la ligne éditoriale de CNews, résume très bien ce débat : "Il y a deux théories qui s'affrontent en fait. Il y a ceux qui disent : « il faut combattre le réchauffement climatique ». Ce sont les écologistes. Et il y a ceux qui disent : « non, il faut s'adapter au réchauffement climatique ». En gros, aujourd'hui, on n'est plus capable de corriger quoi que ce soit, il faut donc s'adapter, prendre des mesures qui permettent plus d'avoir plus de fraîcheur dont la climatisation. Mais les écologistes sont vent debout (...) ils ne veulent pas, ils veulent qu'on souffre pour qu'on expie les fautes du capitalisme. "

Naïma M'Faddel, essayiste, chargée de mission politique de la ville, enfonce le clou : " Aujourd'hui, malheureusement, l'écologie, le changement climatique sont laissés aux mains d'idéologues qui n'ont pas ce souci d'une gestion qui répond à une réalité et non pas à leur idéologie. Ils nous envoient vraiment droit au mur."

C'est donc ça la ligne éditoriale de CNews : entre deux chansons d'Eric Charden et une balade dans un parc avec des parasols naturels, les éditorialistes de Bolloré - qui ne peuvent plus totalement nier le réchauffement climatique même si Robespierre avait déjà chaud - renvoient le problème à des questions de pur pragmatisme. Surtout, il ne faut rien changer à nos modes de vie. On veut bien mettre de la clim, rénover les bâtiments, mais pas plus. Lutter contre les effets, mais pas contre les causes du changement climatique. La baisse de la consommation d'énergie, la décroissance, tout ce qui consisterait à revoir nos modes de vie relèvent de l'idéologie. Aucune réflexion sur le temps long n'est acceptable. Le "bon sens" de CNews suffira pour nous sauver, et surtout pour préserver tous les intérêts économiques de Bolloré et ses amis.

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