Ukraine : LCI, et les Européens "apeurés"

Daniel Schneidermann - - Pédagogie & éducation - Obsessions - 110 commentaires

Guerres hybrides, ici et ailleurs

A mesure que tombent les réactions, interloquées, stupéfaites, sceptiques, des capitales européennes à la proposition de Macron qui "n'exclut pas" une participation militaire française ou otanienne en Ukraine, les mines s'allongent, ce mardi matin, sur le plateau de LCI. Allemands, Grecs, Suédois : la suggestion française subit un feu nourri. Les mâchoires se serrent : sur LCI, chaîne d'hommes de guerre, on subit la mitraille avec le calme des vieilles troupes. Tout de même, on fait cordon. On défend le président, qui n'a pas certainement pas voulu dire ce que le monde entier a compris. Le chancelier allemand Olaf Scholz est jugé "un personnage plein d'ambiguités". Tous des "apeurés", proclame fièrement un bandeau. 

La journée ayant porté conseil, il faudra attendre le soir, et l'émission de David Pujadas, pour entendre avancée l'idée (même par Ruth Elkrief !) que le président français a fait preuve, une fois de plus, de légèreté et d'amateurisme, et cédé à "l'ivresse du verbe", sabotant lui-même les bénéfices politiques de la conférence par lui-même organisée à l'Elysée, et dans laquelle l'Europe, unie, a renouvelé son soutien à l'Ukraine.

De l'emballement verbal, depuis le choc de la mort de Navalny, autour de la guerre d'Ukraine, surnagent des mots énigmatiques : "guerre hybride", et "ingérences russes". C'est ce qu'a voulu signifier Gabriel Attal, en traitant à l'Assemblée Marine Le Pen d'ennemie intérieure. 

Extrait assez réjouissant même si l'enquête du Washington Post, à laquelle se réfère Attal, ne produit pas par elle-même de preuve de subordination, ou d'inféodation, du RN à Moscou. Après tout, l'idée qu'une participation humaine otanienne à la guerre en Ukraine pourrait conduire à une guerre mondiale, n'est pas une idée totalement farfelue, et les génies du RN peuvent y avoir pensé tous seuls (ils ne sont d'ailleurs pas les seuls). Ce qui ne change rien au fait que le RN, de manière générale, doit être considéré comme disqualifié sur la question ukrainienne.

Plus précise se veut la récente enquête de la DGSI, établissant désormais avec certitude que les fameux Moldaves, dessinateurs au pochoir d'étoiles de David sur les murs de Paris, étaient indirectement actionnés par les services russes. Excellente opération, d'ailleurs, et à peu de frais. Que l'on se souvienne de la panique (éphémère, mais violente) orchestrée par les chaînes d'info françaises à propos de ce barbouillage absurde ! Mais la DGSI va plus loin. Pour les services français, il faudrait aussi soupçonner la main de Moscou derrière toutes les crises susceptibles de "fracturer la société française". Et de citer "la réforme des retraites, les prises de position dans le conflit israélo-palestinien, ou le dénigrement des JO 2024".  Etant par définition moins bien renseigné que le Renseignement français, je me garderai bien de tout scepticisme catégorique. Mais s'il faut voir la main de Moscou derrière les manifs de soutien à la Palestine, ou contre la réforme des retraites, on n'en a pas fini. Et d'une certaine façon, la fuite de ce rapport lui-même, ne va-t-elle pas contribuer à "fracturer la société française" ? Hey, nos chers espions, touchez pas à nos fractures ! Nos fractures, c'est nous !

Encore, en Europe occidentale, avons-nous droit à des égards poutiniens. La "guerre hybride" y avance masquée. Elle ne prend pas tant de gants dans les pays baltes, en première ligne, et qui seront vraisemblablement les premiers sur la liste, la Russie finirait-elle par gagner la guerre d'Ukraine. On ne l'a peut-être pas assez souligné en France, mais Moscou a récemment lancé des "avis de recherche" contre un certain nombre de dirigeants, et de personnalités, de Lituanie, d'Estonie et de Lettonie. Notamment visés, tous les responsables politiques ayant mené, depuis les indépendances de 1991, une politique de "dérussification" symbolique, notamment par le déboulonnage de monuments à la gloire de l'Armée rouge au cours de la Seconde guerre mondiale.

Ainsi la Première ministre estonienne Kaja Kallas, raconte Libération dans l'enquête la plus complète à ce jour, est accusée par Moscou de "réhabilitation du nazisme" : l'Estonie a démonté 400 statues célébrant les exploits de l'armée soviétique (la Lettonie en a démonté 69, et en Lituanie, n'en subsiste pas un seul, nombre de ces monuments déboulonnés se situant dans des zones russophones). Parmi les personnes "recherchées" par Moscou, figurent aussi 59 des 68 députés lettons ayant "voté pour mettre fin à un accord avec la Russie qui prévoyait la protection" des monuments en question. Egalement "recherchés", "trois juges lituaniens, qui auraient rendu un verdict délibérément injuste en déclarant coupables de crimes contre l'Humanité 67 Soviétiques coupables de crimes contre l'Humanité, en réprimant dans le sang  la révolte des Lituaniens contre l'URSS en 1991"

"Ce n'est que le début, a assuré une porte-parole russe. Les crimes contre la mémoire de ceux qui ont libéré le monde du nazisme doivent être poursuivis." Et déjà on sent poindre le thème de la défense des minorités russophones persécutées dans les pays baltes. Thème si familier ! Je disais hier que l'Histoire, pour analyser l'agressivité russe, n'était pas d'un grand secours. Mais il faut avouer qu'elle offre parfois des parallèles irrésistibles. C'est par des campagnes exactement identiques prenant la défense des Sudètes (minorité germanophone) prétendument persécutés, que Hitler prépara le terrain à l'annexion de la Tchécoslovaquie. Les vieilles recettes ont la vie dure.

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