Navalny, l'OTAN et Gaza, de mon coin de comptoir

Daniel Schneidermann - - Obsessions - 147 commentaires

Chic, une panique de guerre ! Qui vient s'ajouter à la panique climatique, et à la panique facho-autoritaire. Il ne manquait plus qu'elle. De quoi devons-nous trembler en priorité ? De l'effondrement, du fascisme, ou désormais de la guerre ? 

La collision, en quelques jours, de la mort d'Alexei Navalny dans une colonie pénitentiaire russe de l'Arctique, d'un revers militaire de l'Ukraine, des délirants encouragements de Trump à Poutine à envahir en rétorsion les pays européens qui ne paieraient pas leur écot à l'OTAN, et de la conférence annuelle sur la sécurité de Munich, a fait souffler sur les medias français, tout au long du week-end, la menace d'une guerre européenne.

Les paniques climatique et autoritaire sont, ici, régulièrement documentées. Quid de la panique de guerre ? Comment y démêler le simple réalisme à envisager l'hypothèse de l'unprecedented,  et les fantasmes colportés, pour des raisons diverses, par l'appareil médiatique ? De fait, la nouvelle de la mort du courageux opposant Navalny a été pour beaucoup, dont je suis, ressentie comme glaçante, et c'est sous le coup de cet effroi que je m'autorise cette chronique de comptoir. 

J'entends toutes les objections, qui pullulent sur les réseaux sociaux. Navalny,  rappelle-t-on, était un politique xénophobe, voire raciste. Pourquoi s'émouvoir de cette mort-là, davantage que de tous les morts ukrainiens imputables à Poutine depuis deux ans, ou même palestiniens depuis le 7-Octobre ? Il faut bien admettre que le spectaculaire courage de son retour sacrificiel à Moscou, alors que rien ne l'y obligeait, efface toutes ces objections. Ma propre émotion à intensité variable me rappelle d'ailleurs un souvenir de mon enquête sur Berlin 1933.

Dès son arrivée au pouvoir en 1933, Hitler envoie à Dachau des milliers de communistes. Apparaissent les premières campagnes officielles contre les Juifs. La presse occidentale de l'époque en rend compte sans émotion excessive. Mais soudain, un an plus tard, les exécutions sommaires, lors de la Nuit des longs couteaux, de figures politiques de premier plan, le chef SA Roehm ou l'ancien chancelier von Schleicher, font vibrer d'horreur les mêmes correspondants occidentaux, que laissait froids la persécution de Juifs ou de communistes sans visage. Réflexe de classe, solidarité de tribu politico-médiatique, il faudrait en rechercher les racines profondes. Mais ce réflexe existe, et je le retrouve aujourd'hui. Si la mort de Navalny aura eu pour résultat d'ouvrir davantage d'yeux sur la réalité de la menace russe sur la paix européenne, elle n'aura pas été inutile.

Je dis bien, russe, et non pas seulement poutinienne. De la même manière qu'il ne faudrait pas attribuer trop vite à un dérangement personnel les menaces de Trump contre les alliés des Etats-Unis. Jusqu'à preuve du contraire, vus de mon coin de comptoir, le retour de l'expansionnisme russe et le repli américain doivent être présumés traduire, dans les deux empires, des tendances profondes d'au moins une partie des classes dirigeantes et des peuples, complices ou passifs. Ne serait-ce que par un pari raisonnable. Mieux vaut être dans la peau d'un ex-pessimiste finalement détrompé par un dénouement heureux, que d'un ex-optimiste errant dans un champ de ruines vitrifiées.

Face à ce catalogue de paniques, et dans l'espace limité de nos cerveaux disponibles, l'indignation devant le massacre des Palestiniens ne fait pas le poids. Il faut pourtant faire l'effort surhumain de s'en souvenir toujours. Pour s'en tenir à la France, comment ne pas conserver vibrante, en soi, l'indignation devant le contraste entre les timides remontrances officielles à Netanyahu ("si tu touches à Rafah, on se fâche très fort et on arrête de respirer"), et la persistance des livraisons d'armes françaises à Israël. La France qui tance Israël, c'est l'ARCOM qui gronde Bolloré.

A propos, la France livre-t-elle vraiment des armes à Israël ? Je me suis soudain posé la question à propos de la dernière visite de Zelensky, alors qu'était soulignée la pingrerie de l'aide française à l'Ukraine, en regard des aides allemande ou britannique. Eh bien figurez-vous qu'on n'en sait rien. Aux médias qui posent la question, le ministre Lecornu répond qu'il va se renseigner, et qu'il les rappellera sans faute. De mon coin de comptoir, j'aurais bien une suggestion personnelle  : redirection immédiate vers l'Ukraine de toutes les armes livrées à Israël. Je vous avais prévenus, c'est mon quart d'heure coin de comptoir.


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