Quand les masques tombent...
Daniel Schneidermann - - Obsessions - 179 commentaires
Comment le Rassemblement National sera-t-il arrivé au pouvoir en France, s'il y arrive ? Par deux coups de poker, deux paris, et peut-être deux coups de folie successifs. Celui d'Emmanuel Macron d'abord, dont tous les chroniqueurs politiques racontent depuis dimanche le caractère solitaire de sa décision de dissoudre l'Assemblée, même si elle était apparemment loin d'être improvisée.
Celui d'Eric Ciotti ensuite, ce ralliement au RN tout aussi solitaire du président des Républicains, qui a pris de court la totalité des chefs à plume du parti. A l'heure même où j'écris, j'en suis du coin de l'oeil les développements feuilletonnesques sur les chaînes d'info, qui se régalent. Verrouillage des portes du parti pour interdire la réunion du bureau politique censé le démettre de ses fonctions ; changement par les rebelles des codes du compte X du parti pour interdire au félon de l'utiliser ; guerre des fichiers, arrivées successives devant la forêt de micros réglementaire pour le BP hors-les-murs des vieilles gloires du sarkozysme (Morano, Alliot-Marie, Hortefeux, etc) reconverties en insurgés de l'éthique en politique, et des "valeurs" du gaullisme. Le tout, sur l'image des portes bleues du siège du parti, qui se referment en boucle sur les mystères du putsch.
Car au-delà du feuilleton jubilatoire, il faut évidemment parler de putsch. Un putsch interne à un petit parti-charnière au glorieux passé, mais un putsch, un vrai, même si les arguties juridiques, sur fond de statuts du parti et de réglement intérieur, seront à la hauteur du feuilleton de 2012. Même si Ciotti a été exclu à l'issue de ce bureau politique, son issue n'est pas certaine, et peut-être que le putschiste roulera demain dans la boue. Mais le coup peut aussi être gagnant. La réaction du "peuple LR" ne sera peut-être pas celle des notables du parti.
Dans sa conférence de presse de justification de ce jour, Emmanuel Macron a résumé cette recomposition en trois blocs de la scène politique d'une phrase assez juste : "les masques tombent"
.
D'abord, les masques de LR, parti qui n'a plus de gaulliste que le nom depuis longtemps, et que rien, sur le fond, ne distingue du RN (sauf peut-être sur quelques points de détail comme le devenir de la réforme des retraites, mais Bardella a déjà amorcé un recul sur sa promesse d'abrogation). Cette réalité, crue et nue, de ce conglomérat de notables, de situations acquises, et des finances qui vont avec, est particulièrement bien décrite par la vice-présidente du parti, la maire de Taverny (95) Florence Portelli, que s'arrachent ces jours-ci les chaînes d'info, pour son franc-parler rafraîchissant.
🔴 🗣"Il est en train de sauver sa circonscription à Nice. Cela s'appelle de la collaboration" explique @FloPortelli, vice-présidente Les Républicains, à propos d'@ECiotti. pic.twitter.com/ABVPEab7Kp
— franceinfo (@franceinfo) June 11, 2024
A gauche ? Là aussi, d'une certaine façon, les masques tombent. Si LFI et ses partenaires, heureuse surprise, ont pu si vite se rasseoir autour d'une table sous la bannière sépia du Front Populaire (à la fureur des chaînes d'info), c'est bien parce que leurs désolants échanges d'insultes, tout au long de la campagne européenne, étaient largement surjoués. Je ne crois personnellement toujours pas, malgré l'indécent martelage médiatique sur le sujet, ni que les Insoumis soient le moins du monde antisémites, ni que socialistes et verts aient fait d'autres calculs, en s'obstinant à présenter des listes séparées, que de réaliser les meilleurs scores possibles. Je parierais même qu'alors que volaient les insultes, les insulteurs n'y croyaient pas eux-mêmes, et pensaient avoir bien le temps, en trois ans, de se réconcilier. Le calcul a réussi au PS, pas aux Verts. Il aura suffi de 24 heures. Peu importe. L'heure est à "jeter la rancune à la rivière", comme l'a dit Mélenchon.
Et le "bloc central" macroniste ? Il est encore trop tôt pour en définir les contours incertains, d'autant que nombre de candidats, dont la présidente sortante de l'Assemblée, Yaël Brauan-Pivet, refusent même de dire s'ils feront allusion à Macron dans leur matériel de campagne. Mais au moins l'épisode en a-t-il confirmé le seul programme : la spéculation exclusive sur la peur du chaos. Et l'épine dorsale : le rêve, les intuitions, les fantasmes, d'un seul homme, sous la coupe d'un entourage d'illuminés, prêt à jouer sur un coup de dés l'Histoire du pays et le malheur de ses habitants. Mais cette réalité était-elle vraiment masquée ?