Purge LFI : la Saint-Barbier

Daniel Schneidermann - - Obsessions - 384 commentaires

On se couche sous le Front Populaire, des congés payés plein la tête, et la retraite, et la gratuité scolaire, et le SMIC. On se réveille à la Saint-Barbier. Elle va s'en donner, l'info continue, dans les heures, les jours qui viennent, avec la décision insensée de LFI de refuser les investitures aux législatives à Alexis Corbière, Raquel Garrido, Danielle Simonnet, Hendrik Davy, et Frédéric Mathieu, en dissidence depuis octobre dernier.

Jean-Luc Mélenchon, Manuel Bompard, Mathilde Panot, et tous les anonymes de la commission des investitures :  Christophe Barbier vous dit merci. Ruth Elkrief est un peu embarrassée, elle ne s'attendait pas à ce cadeau. A l'instant on me transmet un message pour vous de Nathalie Saint-Cricq : dans mes bras les enfants, tout est pardonné ! "Je vous aime, mes petites beautés"répète en boucle Cyril Hanouna. Et Vincent Bolloré vient d'être signalé par nos informateurs dans une chapelle bretonne vous brûlant un cierge.

Les remplaçants, évidemment, ont été choisis avec soin. Et une grande perversité. Pour ne prendre qu'un exemple, la médecin urgentiste Sabrina Ali-Benali, impliquée dans tant de combats, investie NFP dans la 7e circonscription de Seine Saint-Denis, ne méritait-elle pas mieux que ce combat-là, fratricide, contre Corbière ? 

Epargnez-moi les "Mélenchon n'y est pour rien, ce n'est pas lui qui fait les investitures". Epargnez-moi les "c'est de leur faute, ils avaient qu'à ne pas parler à la presse bourgeoise", façon purges staliniennes des années 50. Cette décision-là, à ce moment-là constitue, comme disait l'autre, davantage qu'un crime : une faute. Quelle triste sortie pour Mélenchon, après le parcours qui fut le sien, et le mérite historique d'avoir relevé la gauche !

Les dissidents, pour ce qu'ils l'annoncent, vont se présenter quand même, sous leurs propres couleurs. Si j'en crois les experts, cette purge ne menace pas de perdre les circonscriptions en question, imperdables, parait-il, même avec deux candidats de gauche. On verra bien. En attendant, au niveau national, il est probable que l'électeur de gauche ira tout de même voter. Quand les blés sont sous la grêle... chantait Aragon. Mais l'amertume au ventre. Le nouveau Front Populaire était une sorte de petit miracle. Ce matin, ce n'est plus qu'un triste instrument.

"Stalinienne", est le qualificatif qui viendra mécaniquement à l'esprit de beaucoup, dont moi-même, en apprenant la nouvelle de la purge. Allez savoir pourquoi, je pense à cet instant à un honnête homme, Paul Nizan. Ecrivain et journaliste dans la presse communiste dans les Années 30, il apprend en août 1939 la signature du pacte germano-soviétique. Pour lui comme pour tous les communistes, c'est un coup de tonnerre : le grand Staline a donc laissé à Hitler les mains livres pour déclencher une guerre mondiale ? Le moment de stupeur passé, la totalité des militants et intellectuels du Parti s'aligneront : Staline ne peut pas avoir tort. Nizan refusera. Il qualifiera la forfaiture pour ce qu'elle est : une erreur criminelle. Il trouve la mort pendant la guerre de 40.  Le PCF, même après guerre, s'évertuera à salir sa mémoire. Le Parti a eu tort, mais il ne pouvait pas avoir tort. Ne pardonnant pas à Nizan d'avoir eu raison, Aragon figurera au premier rang des salisseurs. Oui oui, Aragon, le même...

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