Nassira et les dégénérés

Daniel Schneidermann - - Obsessions - 125 commentaires

"Pays de racistes dégénérés. Il n'y a pas d'autres mots. La honte"a écrit sur X notre animatrice Nassira El Moaddem, le 30 avril. Pour une histoire de lutte contre le ports des collants et des casques, dans le foot amateur au nom de la laïcité, histoire que je maitrise mal, mais ce n'est pas le sujet.

Pour ce tweet, Nassira a été violemment attaquée sur le plateau de Jean-Marc Morandini (CNews). "Si elle est pas contente, elle se casse" a lancé le député RN de l'Yonne Julien Odoul, demandant à Radio France de suspendre Nassira de son émission estivale de France Inter, "parce que cette dame est payée avec l'argent des Français". "Elle est française", précise alors Morandini, non pas pour signifier que Nassira est en France chez elle, mais plutôt sur le ton de la circonstance accablante. Sommé de condamner le tweet de Nassira, le rappeur Rost, invité régulier de Morandini comme punching ball de service des identitaires, a résisté, sous les injonctions hurlées de l'animateur (désolé pour le lien vers ce cloaque, on ne m'y reprendra plus). "Ces gens-là ne se sentent pas français, il n'y a aucune gratitude vernaculaire à l'égard de tout ce que la France a offert à cette Madame El Moaddem"a renchéri le lendemain, sur le plateau de Pascal Praud, "l'essayiste" Sabrina Medjebeur, autrice d'un essai édité "à compte participatif".

"Si elle est pas contente elle se casse" : c'est exactement le slogan du Front National de la Jeunesse à l'époque de Le Pen père, avec lequel Marine Le Pen et Jordan Bardella, s'épuisent à rompre sans manifestement y arriver, "La France, tu l'aimes ou tu la quittes".

Comme l'écrit Nassira elle-même"Julien Odoul,  député RN, qui sera jugé dès septembre 2024 avec Marine Le Pen pour détournement de fonds publics européens, me demande de quitter la France, sur le plateau de Jean-Marc Morandini condamné pour harcèlement sexuel et corruption sexuelle de mineurs".

En soutien de Nassira, Paul Aveline, notre rédacteur en chef, écrit ici ce qu'il faut écrire. Si Nassira (née en 1984 à Romorantin-Lanthenay, Loir-et-Cher, comme elle le raconte dans son très beau livre Les filles de Romorantin), ne s'appelait pas Nassira, personne n'aurait lancé "qu'elle se casse". Quand Renaud Séchan, en 1975, chantait Hexagone, long cri de haine contre une certaine France rance, raciste et pétainiste, et certainement un peu dégénérée, personne ne lui a intimé de se casser. Il ne s'appelait pas El Moaddem. 

On aurait, ces temps-ci, de nombreuses occasions d'estimer que la France est un pays de racistes dégénérés. Quand on entend, sur le plateau de Pujadas, une chroniqueuse récurrrente, Abnousse Shalmani, proférer que "la majorité des filles d'obédience musulmane, maghrébines, sont obligées d'être moins bonnes à l'école, de se retenir d'avoir de bons résultats" sous la pression familiale, quand LCI (groupe Bouygues) la maintient en poste après cette stupidité islamophobe, on aurait le droit de penser qu'on se trouve, en effet, dans un pays de racistes dégénérés, doté de chaines d'info racistes et dégénérées.

Si je tweetais moi-même, comme c'est parfaitement mon droit, et le droit de quiconque, que la France est un "pays de racistes dégénérés", je serais insulté chez Pascal Praud et chez le repris de justice Morandini, toute l'artillerie Bolloré et son infanterie de trolls racistes et dégénérés se déchainerait contre moi (ça m'arrive régulièrement), mais personne ne me proposerait de "me casser", surtout en ces temps de "plus philosémite que moi tu meurs" chez les héritiers du parti fondé par des Waffen SS (sur  la manière dont un philosémitisme échevelé frôle parfois à un cheveu le bon vieil antisémitisme, écouter  notre émission avec Rony Brauman). Je ne m'appelle pas El Moaddem.

Après l'assassinat de George Floyd, Virginie Despentes, écrivaine française, blanche, et qui ne s'appelle pas non plus El Moaddem, avait écrit un magnifique texte dont je vous partage un extrait.

"Je suis blanche. Je sors tous les jours de chez moi sans prendre mes papiers. Les gens comme moi c’est la carte bleue qu’on remonte chercher quand on l’a oubliée. La ville me dit tu es ici chez toi. Une blanche comme moi hors pandémie circule dans cette ville sans même remarquer où sont les policiers. Et je sais que s’ils sont trois à s’assoir sur mon dos jusqu’à m’asphyxier – au seul motif que j’ai essayé d’esquiver un contrôle de routine – on en fera toute une affaire. Je suis née blanche comme d’autres sont nés hommes (...) Le privilège, c’est avoir le choix d’y penser, ou pas. Je ne peux pas oublier que je suis une femme. Mais je peux oublier que je suis blanche. Ça, c’est être blanche. Y penser, ou ne pas y penser, selon l’humeur. En France, nous ne sommes pas racistes mais je ne connais pas une seule personne noire ou arabe qui ait ce choix". 

Comme Virginie Despentes, je bénéficie d'un privilège : le privilège du non-musulman, qui se confond avec le  privilège blanc. Reste une question. Marine Le Pen, Jordan Bardella, vous les banaliseurs, les dédiaboliseurs-dédiabolisés, condamnez-vous les propos racistes du député Odoul ?




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