Guedj : Castets, Tondelier et Royal dans les filets de l'info
Daniel Schneidermann - - Coups de com' - Obsessions - 66 commentaires
Trois femmes de gauche, dans les filets de l'info continue, en ce pont du 1er mai. Trois émissions, et un sujet unique : le député PS Jérôme Guedj a été obligé, par des manifestants masqués, dont certains porteurs de drapeaux antifas, de quitter la manifestation parisienne du 1er mai. Par ailleurs, le stand du PS sur le parcours de cette manifestation a été saccagé. "Qu'est-ce que ça vous inspire ?"
demande d'entrée de jeu Hadrien Bect (France Info) à Lucie Castets, ex-candidate des formations de gauche au poste de Premier ministre en 2024. "C'est intolérable. Cela n'a pas lieu d'être, nulle part, et encore moins en manifestation un premier mai"
. Clair et net. Va-t-on pouvoir passer à autre chose ? Non. "Jérôme Guedj est exfiltré à chaque fois qu'il manifeste"
, insiste le présentateur. "Je condamne absolument les violences, y compris contre Jérôme Guedj"
. Re-clair et re-net. Mais encore insuffisant. La journaliste Alix Bouilhaguet : "est-ce que vous pensez que Jérôme Guedj est ciblé à cause de ses origines juives ?" "Je ne sais pas"
. Ah, ton compte est bon. "Parce que Marine Tondelier dit clairement les choses. Elle dit, il existe un antisémitisme d'extrême-gauche"
.
Car quelques heures plus tôt, la secrétaire nationale des Verts, a été interrogée sur le même sujet. "Est-ce qu'on peut parler d'un antisémitisme d'extrême-gauche ?"
a demandé Yves Calvi à Tondelier. "Je veux pas répondre à cette question" "Pourquoi ?" "Parce que je suis embêtée. Personne ne doit être évincé des manifestations, mais je vois aussi comment Jérôme Guedj donne rendez-vous, vient avec vingt journalistes. Jérôme Guedj a mon soutien comme tous les socialistes, mais il faut faire attention à ne pas faire du Premier mai la revue de presse des incidents"
. Sous-entendre que Guedj, déjà exfiltré quelques jours plus tôt d'une manifestation contre l'islamophobie, après l'assassinat d'un jeune musulman, Aboubakar Cissé, dans le Gard, pourrait chercher à provoquer des incidents médiatiques : que n'a-t-elle dit ? "J'ai un peu honte pour elle qu'elle ne soit pas capable de répondre à cette question
, tonne l'exfiltré, omniprésent sur les plateaux. Laisser entendre que je l'aurais bien cherché, j'ai honte"
. Si bien que quelques heures plus tard, sur son compte X, Tondelier capitule, rappelant que "les socialistes ont leurs places dans les manifestations"
, et "présente ses excuses à tous ceux que l'imprécision de sa réponse a pu heurter"
.
Retour à Castets, ainsi confrontée au PV tout frais de l'aveu de Tondelier. "L'antisémitisme n'est pas résiduel en France"
convient-elle. Bouilhaguet : "...contrairement à ce que dit Jean-Luc Mélenchon". "On n'est pas obligé d'être d'accord sur tout avec Jean-Luc Mélenchon"
. Le présentateur, en quête de précision : "C'est teinté d'antisémitisme, c'est de l'antisémitisme ?" "Je ne sais pas précisément. Mais quelles que soient leurs motivations, je les condamne avec la plus grande fermeté."
Mais cela ne suffit pas encore. Bouilhaguet : "vous ne pensez pas que les Insoumis ont une part de responsabilité en attisant le climat politique sur ces questions-là ?"
(Manuel Bompard a bien entendu condamné les expulsions successives de Guedj). Re-condamnation sans aucune réserve. "Vous n'avez pas répondu à la question d'Alix Bouilhaguet. La gauche, et singulièrement les Insoumis, n'ont aucune responsabilité dans un certain climat ?"
Trois minutes ont été consacrées à l'interrogatoire.
Antisémitisme ? Aucun témoin direct n'assure avoir entendu d'insulte antisémite contre Jérôme Guedj, traité de "vendu", "traître"
ou "assassin"
selon Le Figaro
, ou encore de "sale sioniste"
selon d'autres. En revanche, de nombreuses prises de position passées du député sont de nature à lui attirer l'hostilité de soutiens de la cause palestinienne ou de militants anti-islamophobie (lire ce récit d'Elodie Safaris), comme son refus de qualifier de "génocide" le carnage de Gaza depuis le 7-Octobre ou, plus ancien, de participer à une manifestation anti-islamophobie en 2019, après un attentat contre une mosquée.
Au contraire de Castets et Tondelier, toutes deux candidates informelles au rôle cruel de "trait d'union" des partis de gauche, Ségolène Royal, elle, est libre de sa parole. Elle n'attend plus rien. Dans sa longue carrière, elle a déjà essuyé tous les sarcasmes imaginables. "Il y a eu la destruction d'un stand, etc, mais quand même il y a des dizaines de milliers d'enfants massacrés à Gaza,
rappelle-t-elle sur RTL à Thomas Sotto. Il y a une différence de nature et de niveau. Je trouve qu'il y a un décalage entre ce que suscitent ces comportements répréhensibles et ce qui se passe à Gaza. Il y a surtout beaucoup de gens qui sont anti-Netanyahu, c'est Netanyahu qui crée l'antisémitisme. "
Sotto : "est-ce que la politique de Netanyahu, d'extrême droite, légitime ce qui se passe en France en matière d'antisémitisme ?" "Il faut faire la hiérarchie des choses. Il n'y a pas eu mort d'homme, ni d'enfant".
Il faut que ce soit Royal qui, au risque de s'attirer une fois de plus les sarcasmes de l'humoriste officielle Sophia Aram, rappelle les inquisiteurs à la hiérarchie des indignations, entre une altercation à Paris, et des dizaines de milliers de morts à Gaza.
Régulièrement, la fonction cléricalo-policière de l'information audiovisuelle, privé et public mêlés, se rappelle à la mémoire de chacun. Les inquisiteurs de plateau revêtent leurs uniformes ou leurs robes, coiffent leurs chapeaux pointus, et renouent avec leur nature profonde : sonder les âmes, chercher l'aveu, traquer les responsables et leurs complices et -ô délice- opposer entre elles les dépositions des suspects. Nouvelle preuve par Guedj.