Ersilia Soudais : la députée et l'affichette

Daniel Schneidermann - - Obsessions - 194 commentaires

L'affichette a été collée sur la porte du bureau de la députée LFI Ersilia Soudais, à l'Assemblée Nationale. Elle montre un adorable bébé. Elle dit : "Kfir 9 mois bébé israélien, kidnappé dans sa maison par le Hamas (...) Le monde doit savoir. Partagez. Aidez-les à revenir vivants".

Du Japon, où elle est en visite avec le groupe parlementaire d'amitié France-Japon, la députée, dans un tweet, traite le colleur anonyme de "cinglé", interpelle la présidente de l'Assemblée, et assure qu'elle "est et restera dans le camp de la paix, n'en déplaise aux va-t-en guerre qui jouent sur le registre du chantage émotionnel". Sous le tweet, elle insère deux hashtags,#Gaza et #Hamas.

Que n'a-t-elle pas dit ? Immédiatement, une multitude de comptes, le plus souvent anonymes, lui tombent dessus. Comment donc, elle ose se plaindre ? Elle se plaint pour une affichette appelant au retour d'un bébé pris en otage ? On tue des bébés, et toi tu chouines pour une affichette ? Pour avoir pris sa défense sur le même réseau, je suis, comme elle, quasiment sorti de l'humanité.

Et c'est vrai, ce n'est pas bien méchant, cette affichette. Bien peu de choses, au regard du fait insoutenable qu'il rappelle : un bébé est retenu en otage. Ce n'est pas sacré, une porte de bureau. Bien des permanences parlementaires de députés de la majorité ont été taguées, pendant le mouvement des Gilets jaunes, ou le mouvement contre la réforme des retraites. D'ailleurs, même au sein du groupe LFI de l'Assemblée, les réactions publiques de soutien ont été rares.

Sauf que le geste, anonyme, a été commis dans un lieu hautement sécurisé, où de draconiennes mesures de sécurité sont déployées pour préserver la sérénité du travail des parlementaires.  C'est une personne munie d'un badge d'accès au parlement (député ? collaborateur ? Agent de l'Assemblée ? Ou alors simple visiteur, peut-être...) qui a collé cette affichette. Dans l'enceinte de l'Assemblée, où les députés sont censés débattre et s'affronter à visage découvert, cet acte anonyme lui signifie qu'elle est si peu digne que l'on débatte avec elle, qu'elle ne mérite que harcèlement anonyme -je dis bien "harcèlement", terme plus approprié que cette agression, qui m'est venue sous la plume sur Twitter. 

Ce geste anonyme dit à la députée : on te rappelle que le crime fut monstrueux. Au pire, l'affichette lui impute implicitement une complicité dans l'odieux crime de guerre qu'est l'enlèvement d'un bébé. Au mieux, il l'accuse implicitement d'indifférence. 

Ersilia Soudais n'a pas été choisie par hasard. Depuis le début de la session parlementaire, la députée est, pour son soutien à la cause palestinienne, régulièrement accusée d'antisémitisme par quelques médias, relayés par quelques collègues (ou l'inverse). Sa notice Wikipedia renvoie ainsi à un texte de Franc-Tireur, l'hebdomadaire de Caroline Fourest, qui énumère certains de ses forfaits supposés. Pour des raisons que j'ai détaillées ici, ayant été moi-même dans le même magazine (groupe CMI-Kretinsky) victime d'un PV de police camouflé en article, je n'accorde qu'une confiance très limitée à la sa production. 

D'autres griefs sont énumérés dans cet article de CNews (groupe Bolloré). Exemples ? Le 4 mai, Soudais prend la parole à l’Assemblée pour soutenir une proposition de loi qui entend appliquer à Israël le terme "d'apartheid", au nom d’une "solution à deux États". On lui reproche aussi d'avoir évoqué les "75 ans de la Nakba", "catastrophe" en arabe, soit la création de l’État d'Israël, aux côtés d’associations antisionistes, soutiens du mouvement BDS (Boycott désinvestissement et sanctions). Tout récemment, elle comptait encore parmi les députés ayant invité à l'Assemblée la militante du Front Populaire de Libération de la Palestine Maryam  Abu Daqqa. -invitation annulée par la présidente Yaël Braun-Pivet. Militante laïque, Abu Daqqa se trouvait en France pour une tournée d'une quinzaine de conférences, quand le ministère de l'Intérieur a pris à son encontre un arrêté d'expulsion, arrêté aujourd'hui suspendu par le tribunal administratif.

Au-delà, énonçons clairement le principal reproche adressé à Ersilia Soudais par ses harceleurs anonymes. Depuis le 7 octobre, elle n'a exprimé publiquement aucune compassion pour les victimes israéliennes du Hamas. Dans toutes ses expressions publiques sur le sujet, elle a privilégié l'explication de l'assaut terroriste du Hamas par le contexte de la politique israélienne de colonisation. 

On peut juger que c'est une erreur politique, mais c'est son droit. Personnellement, je n'emploierais pas les mots qu'elle emploie parfois. Plus précisément, je regrette l'absence des mots qu'elle ne prononce pas. L'extermination nazie du peuple juif, dont la création d'Israël est la conséquence, résonne en moi commeautantde la même manièreen alternance  avec les spoliations, les humiliations et les meurtres dont sont victimes les Palestiniens depuis 1948, et ces tous derniers jours encore, à Gaza et en Cisjordanie. Mais la France n'est pas partie prenante à cette guerre. Une parlementaire française a le droit de choisir ses expressions, de ne pas dire ce qu'elle ne dit pas, et notamment de ne pas céder au "chantage émotionnel". Son mandat ne lui interdit certes pas d'exprimer des émotions personnelles, il ne le lui impose pas non plus. Pour autant, elle ne sort ni de "l'arc républicain", ni de l'humanité.

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