En pleins rêves

Daniel Schneidermann - - Coups de com' - Obsessions - 43 commentaires

Ce 9 juillet, les dirigeants de C8 sont auditionnés par l'ARCOM. En jeu le renouvellement, ou non, de la convention de la chaîne. Autrement dit, le sort de la chaîne Bolloré pour les dix prochaines années. On pouvait s'attendre à une audition de pure forme. On a assisté à quelques échanges "musclés", dont voici le meilleur, autour du cas Hanouna, bien entendu.

D'où il ressort que la principale "concession" des dirigeants de la chaîne pour attester de leur souci pour la maitrise de l'antenne -un léger différé d'une trentaines de minutes permettant de couper l'émission avant diffusion- ne figurait pas dans le dossier présenté à l'ARCOM. Soit, MM. Saada, Appietto et Brice-Viret l'ont inventée la veille ou le matin de l'audition. Soit, ils ont tellement peur de Hanouna qu'ils n'ont pas osé lui en parler auparavant. Dans les deux cas, leur dédain pour l'institution de régulation est accablant. (A propos de ce "différé", notons par ailleurs qu'en soi, il n'empêche rien : la fameuse et scandaleuse émission catholique de CNews sur l'avortement avait été enregistrée la veille).

Cette agressivité, cette arrogance, ce dédain : soit ils savent déjà qu'ils ont gagné, soit ils savent déjà qu'ils ont perdu. Je pencherais plutôt pour la seconde hypothèse. Le hold-up de Hanouna et Bolloré, dans les deux dernières semaines, sur les après-midis d'Europe 1, pour les transformer en radio de propagande RN, évoquait plutôt un tout pour le tout, une sorte de "Viva la muerte". Mais je suis de nature optimiste.

Même incrédulité, et même difficulté à nommer ce que je vois, s'agissant des suites politiques des législatives. Trois jours après l'élection, Gabriel Attal est encore à Matignon sans que les pouvoirs de son gouvernement aient été en quelque manière limités. Alors que se poursuivent les négociations entre mouvements du Nouveau Front Populaire, des Xavier Bertrand, des Edouard Philippe se succèdent sur les plateaux pour tenter de monter un impossible "bloc central". Et les télés entretiennent leur rêve (voir l'Obsession d'hier sur le 20 Heures de TF1, où la victoire de la gauche a disparu). A l'instant où je publie cette chronique, Emmanuel Macron adresse une surréaliste "lettre aux Français" dans laquelle, estimant que nul n'a gagné les législatives, il somme les partis, hors RN et LFI, de bâtir "une majorité solide".

En plein déni, la droite rêve éveillée. Mais elle n'est pas la seule, me semble-t-il. Soit ils rêvent, soit nous rêvons. L'un des deux rêve. Il est aussi possible que tous deux rêvent en même temps.

Le rêve de la gauche ?  Un gouvernement de Hollande à Mélenchon, mais pas au-delà, susceptible de faire adopter la hausse du SMIC et l'abrogation de la réforme des retraites par une centaine de députés du "bloc du centre", ou du RN.

Et sinon ? Se développe à gauche un débat sur les adoptions de mesures au 49-3.  L'idée ayant été lancée par Faure à propos de la réforme des retraites ("ce qui a été construit au 49-3 peut se défaire au 49-3"), elle a aussitôt été retoquée par à peu près toute la gauche. Ah, c'est qu'elle veut faire les choses dans les formes, la gauche ! Surtout, ne pas utiliser les armes de l'adversaire. Et comment faire, alors ? Peut-on augmenter le SMIC, bloquer les prix, ou abroger la réforme des retraites par décret ?  Nouvelles stars des plateaux, les constitutionnalistes s'étripent, comme il sied à des spécialistes (voir ici, ici ou ici) sans rien faire avancer.

Sur tous les plateaux, on entend répéter qu'un gouvernement NFP, à peine constitué, serait renversé par une motion de censure des droites. Est-ce si certain ? Les droites sont-elles vraiment  désireuses de gouverner elles-mêmes, ou bien seulement d'empêcher le moindre Insoumis d'accéder au moindre sous-secrétariat d'Etat ? J'ai beau chercher, je ne parviens pas à comprendre cette fringale de gouvernement. Aller au gouvernement dans ces conditions (pour n'importe lequel des deux "blocs" possibles, d'ailleurs) c'est courir au suicide en chantant. A moins qu'en réalité, comme dans le best-seller des Années 80, "Que le meilleur perde", ils déploient tout leur savoir-faire pour éviter de devoir y aller eux-mêmes. Il faut alors reconnaître qu'ils se débrouillent assez bien. 

Mise à jour : rajout de la "lettre aux Français" d'Emmanuel Macron.

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