Au 20 Heures : au secours, la gauche arrive !

Daniel Schneidermann - - Médias traditionnels - Obsessions - 292 commentaires

Mais où va-t-on ? s'angoisse Gilles Bouleau, au lendemain du second tour des législatives. Où va-t-on, alors que  l'Assemblée est "sans majorité". "Qui va pouvoir gouverner la France ?" se demande le 20 Heures de TF1, pour qui "les réunions au sommet se sont multipliées" (images de groupes indiscernables devant l'Assemblée). Bouleau encore : "Des institutions paralysées comme elles ne l'ont jamais été. Les Etats-majors cherchent la solution". Jusque là, dans ce lancement, aucune allusion à la victoire en sièges du Nouveau Front Populaire (NFP).

Heureusement, de l'inquiétant brouillard émergent, apparemment indemnes, de rassurantes figures familières. Jour de rentrée pour Elisabeth Borne : "ça ne paraissait pas gagné d'avance, je suis d'autant plus fière d'être là".  Jour de rentrée pour Gérald Darmanin : "nationalement je pense que personne n'a gagné". Ce qui oblige le président à gouverner autrement, explique TF1. Heureusement, il a pris des dispositions, en prolongeant Gabriel  Attal, car "Emmanuel Macron souhaite prendre son temps" et comment ne pas le comprendre, alors qu'il va successivement (images d'un agenda tout barré en rouge) défendre la sécurité de la France au sommet de l'OTAN, célébrer le 14 Juillet, et ouvrir les Jeux Olympiques (il n'est pas question des Paralympiques). Le reste peut bien attendre.

Enfin, à la fin de ce premier reportage (trois minutes après le début du journal), TF1 livre incidemment une information accessoire : "aujourd'hui les regards sont tournés à gauche. Arrivé en tête, le NFP cherche Premier ministre". Cinq secondes exactement d'images de joie du dimanche soir à la République ( de 3' à 3'05 si vous cherchez sur le Replay).  Quatre secondes de Sandrine Rousseau se proposant d'inventer "une autre manière de gouverner" et hop, TF1 passe au QG du RN, où "le jour d'après est plus compliqué qu'espéré", même si "jamais le parti lepéniste n'a fait entrer autant d'élus à l'Assemblée Nationale".

On n'est pas chez Bolloré. Le 20 Heures de TF1 est irréprochablement factuel. Il ne polémique pas. Chacune de ces phrases, prise individuellement, est inattaquable. Il faut des incidents, comme une interview la semaine dernière de la co-présentatrice Anne-Claire Coudray chez Quotidien à propos des abayas, pour que ces agents irréprochables trahissent leur pensée profonde.

Heureusement, en face, reste le service public-de gauche-payé-avec-nos-impôts qui, dès les titres, indique que "la gauche est en tête".  Dans le premier reportage, c'est Manuel Bompard qui intervient le premier, avant le macroniste Sylvain Maillard qui va "construire une alliance", ce qui "va prendre quelques semaines". Suit une autocritique de Bardella sur "les investitures d'un certain nombre de députés". S'ensuit un reportage devant l'Elysée, manière de signifier, tout de même, que l'Elysée joue un rôle dans l'histoire, même si personne ne peut dire exactement lequel.

Surtout, à la différence de TF1, France 2 analyse la situation avec sa spécialiste chevronnée Nathalie Saint-Cricq qui s'est penchée sur LA question du futur Premier ministre. "A priori, explique-t-elle, ça devrait venir du groupe le plus nombreux à l'Assemblée (grimace inimitable et indescriptible) le Nouveau Front Populaire". Et quand ? "Certains nous vendent la fin de la semaine, ça semble relativement incertain (grimace sceptique, plus facilement déchiffrable)." 

Et d'entrer dans le détail. "Il y a deux camps. Ceux que Raphaël Glucksmann appelle le camp des adultes, ceux qui comprennent qu'il faut faire des compromis, négocier, qu'on ne peut pas imposer à tout le monde sa version des choses, les Yannick Jadot, les Carole Delga, et même Marine Tondelier ou Olivier Faure". Ouf, il y a des adultes dans la salle. Mais tout n'est pas réglé pour autant,  car "pour cela il faut s''émanciper du mantra de la France insoumise, le programme, rien que le programme, tout le programme (...) qui considère que c'est tout ou rien. On verra si la partie adulte l'emporte, et accepte de tordre le bras à la FI. C'est le sens de ce que voulait dire Emmanuel Macron quand il disait Il faut mettre l'opposition face à ses responsabilités". Heureusement que Glucksmann et Macron s'emploient à donner du sens au chaos. 

Pas un mot sur les débats politiques qui ont agité la journée, sur les possibilités, pour un gouvernement de gauche minoritaire, d'agir par décrets (par exemple pour la hausse du SMIC à 1600 euros) ou même avec l'article 49-3 (pour l'abrogation de la réforme des retraites). Passons sur un direct devant la brasserie où ont négocié les chefs de la gauche, et un gros plan de France 2, sans commentaires, sur une banderole "L'antisémitisme n'est pas une promesse de campagne", aussi indéchiffrable que les grimaces de Nathalie Saint-Cricq. On en parlera éventuellement une prochaine fois.


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