Dernières nouvelles de la guerre du rire

Daniel Schneidermann - - Obsessions - 43 commentaires

Si le rire a perdu une bataille avec le licenciement de Guillaume Meurice par Radio France, il n'a pas perdu la guerre. Je veux parler de la guerre menée par des humoristes professionnels de l'humour VOLONTAIRE, et non par les comiques involontaires que sont MM. Ciotti, Zemmour, ou Mme Maréchal, et les autres. Et voilà la BBC de 1940 installée où on l'attendait le moins : sur RTL.


Au micro d'Alex Vizorek, lui-même transfuge de France Inter, s'invitent donc Guillaume Meurice, fraîchement licencié par Radio France, et Aymeric Lompret, parti à son tour de la radio publique en solidarité avec le collègue. Ils cherchent du boulot. Ils déroulent leur CV. Meurice : "Je suis comique de gauche" Vizorek : "Vous savez que le public de RTL est très exigeant" Meurice : "Je m'adapte, je peux faire des blagues de droite. Hidalgo, Notre Drame de Paris, par exemple." Et de rire de la station qui les accueille, RTL, présumée radio de droite, aux poches pleines. On rigole.

Le licenciement de Guillaume Meurice par Radio France ne se comprend pas si on n'a pas en mémoire que la radio publique se trouve sous le feu roulant de la troupe de Bolloré (Praud, Hanouna, Morandini, Goldnadel) depuis des années, sur le thème inusable : "cette bande de gauchistes, payée avec nos impôts". Le gauchiste Dominique Seux, l'islamo-trotzkiste Léa Salamé, l'anarchiste Sophia Aram, apprécieront.  N'empêche que cette offensive est d'autant plus pesante qu'il est interdit aux journalistes et chroniqueurs de la radio publique de répliquer sur le même ton. Seuls les humoristes en ont statutairement le droit. Ces humoristes que la directrice de France Inter, à la fin de la saison dernière, rétrograde du rythme quotidien au rythme hebdomadaire sous le prétexte hautement comique de leur permettre de se "réinventer"offrant ainsi une première victoire au camp Bolloré.

Au coeur de cette guerre, survient le 28 octobre dernier, alors que s'abattent les bombes israéliennes sur Gaza en représailles au massacre du 7 octobre, "la" blague de Meurice sur Netanyahu, "une sorte de nazi sans prépuce". Feu roulant contre l'humoriste de la cohorte des pro-Israéliens, tous dotés du modèle dernier cri de l'arme paralysante de l'accusation d'antisémitisme. Des plaintes sont déposées. Dans l'emballement, l'ARCOM fait pour une fois diligence et adresse une mise en garde à France Inter. Convoqué par la PDG de Radio France Sibyle Veil, l'humoriste refuse bien entendu de s'excuser, et même de prononcer à l'attention des offensés un mot de compréhension navrée. Il le refuse même à sa productrice Charline Vanhoenacker, qui lui formule la même demande.

Quelques mois plus tard, les plaintes ayant été classées sans suite par la Justice, il récidive et réitère la blague du prépuce "maintenant qu'on a le droit, c'est la Justice qui le dit". Le couperet tombe : licencié.  Comme avant lui, Didier Porte (pour avoir fait dire à Dominique de Villepin "J'encule Sarkozy", et aussitôt récupéré ici-même), ou Stéphane Guillon (pour différentes chroniques, notamment sur Dominique Strauss-Kahn et l'ex-ministre de l'Identités sarkozyste Eric Besson). L'humoriste sur la radio publique est un être broyé d'avance par les injonctions contradictoires (sois impertinent mais sage, sans limites mais dans les limites qu'on t'impose, etc).

On aurait pu rêver d'autres solutions pour s'en sortir. Accepter de s'expliquer, de déclarer sa compassion navrée pouvait s'envisager, mais évidemment pas sous pression. Autre solution  : Sibyle Veil elle-même aurait pu s'inviter sur une de ses antennes, et camper sur la "ligne Charlie", qui régit officieusement depuis 2015 l'humour en France : "je suis désolée pour tous ceux qui se sont sentis blessés, mais la Justice a tranché, l'humour a tous les droits, cette blague ne me fait pas rire, mais Guillaume Meurice continuera à blaguer en liberté".

Dans l'immédiat, France Inter a perdu la bataille du rire. Fut un temps où le rire, le rire libre, régnait sur le service public de la radio, quand sur les ondes privées, il était domestiqué, asservi. Quand l'imitateur Nicolas Canteloup moquait sur Europe 1, juste après l'interview matinale d'Elkabbach, la servilité dudit Elkabbach avec les puissants, cela servait les intérêts bien compris de la station de Lagardère, et sentait à mille pieds le recyclage par l'auto-dérision.  Sur France Inter, au contraire, régnait l'incontrôlable.

C'est fini -et sans doute pour un bon moment. Si talentueuse que soit la nouvelle improbable bande de Charline, avec les moyens rabougris que Sibyle Veil et Adèle Van Reeth, sous le regard du nouveau pouvoir d'après le 7 juillet, voudront bien lui laisser, et auxquels elle va tenter de "s 'adapter", toute blague sera présumée tolérée. "Dorénavant, chaque humoriste prétendant qu’il est libre sur ton antenne fera rire à coup sûr", a conclu Meurice dans une lettre d'adieu à France Inter.


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