Dans la nuit : "La jeunesse exige le Front Populaire !"
Daniel Schneidermann - - Obsessions - 281 commentaires
Et soudain deux images se rencontrèrent. D'abord , dans ce long plan séquence du journaliste indépendant Clément Lanot, cette foule jeune, joyeuse, qui crie "Front Populaire !"
dans les rues de Paris. Combien sont-ils, ces arrière arrière petits-enfants de 36, qui ressuscitent ce fantôme glorieux de la légende de la gauche, cette trouée de soleil dans un siècle de sang ?
Front populaire ! Mais vous déraisonnez, les enfants ! On vous l'explique pourtant à longueur de journées, à longueur d'écrans, on vous le béèfème, on vous le céniouze, on vous le elcéïse, à longueur d'Elkrief et de Brunet, que l'avenir raisonnable s'appelle Bardella, et Marine, et Marion, et Zemmour ! On vous le serine, que la préférence nationale est inéluctable, et qu'il va falloir y passer !
Front populaire ! Il vient d'où, ce fantôme des congés payés, et de l'accordéon dans les usines occupées ? D'une intuition de Ruffin dimanche soir bien sûr, mais encore, mais plus profond encore ? D'où jaillit-il, d'où explose-t-il ? Peu importe pour l'instant, car quelle force est la sienne, ce désir de gauche, d'avoir été si longtemps contenu ! Habitués aux manifs rituelles, on ne s'est d'abord pas demandé où se déroule celle-ci. Mais voilà, où elle se déroule : devant le siège de EELV, où depuis quelques heures les chefs à plume sont attablés, pour voir si on pourrait vite fait ressusciter une sorte de NUPES, histoire de sauver ce qui peut l'être dans l'ouragan programmé, inéluctable. Et ça change tout.
"Trouvez un accord !"
ordonne la jeunesse. Et soudain les voilà qui sortent, les chefs, sur le perron. En désordre, comme dérangés par le bruit, il faut comprendre, ils n'étaient plus habitués à croiser l'espoir au coin de la rue. Les voilà, Tondelier, Bompard, Panot, Faure, et même Roussel, oui, Roussel, redevenu camarade. Ils sont là, incertains, incrédules, hésitant entre le mégaphone et les micros. Tondelier applaudit la première, puis Ali Rabeh, maire de Trappes, et voilà que Bompard se dégèle à son tour. Tondelier : "Vous êtes arrivés juste à temps. Juste à temps parce que..."
Deux secondes de suspense. "...nous l'avons fait, nous avons réussi à nous mettre d'accord !"
Hurlements de joie. Cris : "Et la jeunesse exige le Front Populaire !"
Tondelier : "On a encore beaucoup de travail vous pouvez l'imaginer. Mais on va avoir besoin de vous". "Merci d'être venus jusqu'ici"
lance Bompard à son tour. "Ca veut dire quoi ?" c
rie quelqu'un. "Ca veut dure que nous exprimons..."
Un silence. "...notre volonté, face à la grande bataille démocratique qui vient, de partir ensemble".
Ce n'est plus "un accord",
juste "une volonté",
mais ne chipotons pas, il reste cinq jours. Que c'est beau, l'Histoire en train de s'écrire !
Tondelier passe le micro à Roussel. La foule : "Ne nous trahissez pas !"
Roussel, en mode tribun-culot d'acier : "Nous avons déjà subi trop de trahisons, et nous voulons prendre devant vous ce serment d'être unis jusqu'à la victoire. Et nous aurons besoin de vos mobilisations dans les facs, comme dans les entreprises".
La foule : "on est là, on est là !"
Faure, à son tour : "Nous sommes un pays métissé, fier de ses origines, qui ne trie pas entre ses enfants."
La foule : "et non Glucksmann n'est pas un camarade. Et non..."
Comme elles semblent loin, les "cinq conditions"
posées quelques heures plus tôt par Glucksmann !
"Et si le sommet en est incapable, alors que sorte sur les places le peuple de gauche, et qu'il le leur impose !"
écrivais-je hier. C'est fait, mais tout reste à faire, pour bétonner un accord qui ne laisse aucune place aux dissidents. Les coups viendront de partout. Insufflez-leur du courage ! Portez-leur des pizzas aux quatre fromages, des salades de boulgour, ce qu'ils demanderont, mais ne les lâchez pas !