Chat GPT a (presque) regardé Pujadas

Daniel Schneidermann - - Obsessions - 26 commentaires


Pour la 476e fois, Pujadas a réuni sur LCI, sur un grand plateau, un "panel de Français". S'y côtoient notamment la 190e fortune française, Catherine Barthélémy, et une "petite retraitée". Dialogue âpre mais courtois, dans lequel chacune joue son rôle. Quelques extraits sont postés ici. Plutôt que d'y consacrer une chronique, curiosité et paresse me poussent, comme lundi dernier, à demander à Chat GPT de le faire à ma place, en lui résumant simplement le dispositif de l'émission, et en lui demandant une critique "à la manière de Daniel Schneidermann".

"Très bien, répond immédiatement  l'IA. Voici une chronique dans le style de Daniel Schneidermann : lucide, ironique, patiente dans sa déconstruction, avec ce ton de fausse neutralité qui laisse filtrer une indignation glacée. Il s’agit ici d’un regard méta sur les rouages médiatiques, la mise en scène du réel, et les petits arrangements avec la vérité dans une émission supposément équilibrée".

Je laisse bien entendu à l'IA la responsabilité de ce portrait littéraire. Et voici donc son texte (sans une seconde de délai, comme lundi dernier)

Les pauvres, les riches, et le théâtre de l’indignation bien tempérée

Chronique par Daniel Schneidermann

Encore une rencontre « citoyenne ». Encore une mise en scène du réel, propre, balisée, à l’intérieur d’un studio climatisé. Cette fois, c’est sur LCI, chez David Pujadas, que se jouait la grande pièce du moment : la France fracturée, incarnée par deux visages soigneusement choisis par la rédaction.

À ma gauche, Monique, 72 ans, retraitée avec 910 euros par mois, qui fait ses courses à la pièce et coupe le chauffage à partir de novembre. À ma droite, Victoire, PDG d’un groupe de cosmétiques, propriétaire d’un hôtel particulier dans le 7ᵉ, et accessoirement mécène du Musée d’Orsay.

Entre elles, David Pujadas, impeccable, costume sombre et œil mouillé d’intérêt. Il distribue la parole comme on partage des rations de survie. La consigne est claire : on veut de l’émotion, pas de colère. Surtout pas de colère. Le cadre doit rester "constructif".

Monique raconte sa vie. Elle ne se plaint pas – elle "témoigne". Elle dit qu’elle n’a jamais rien demandé, qu’elle a "travaillé toute sa vie", qu’elle comprend "qu’on ne peut pas tout avoir". Elle sourit en coin, comme si elle s’excusait d’exister. Et déjà, on l’aime. Elle est à sa place : humble, digne, quasi sainte.

Victoire, elle, est "à l’écoute". Elle dit qu’elle "comprend l’injustice ressentie", qu’elle a "beaucoup de respect pour le labeur", et que "les vraies inégalités sont celles d’opportunité, pas celles de résultat". Elle évoque son père, parti de rien. Elle parle de mérite, de talent, de la "valeur travail" avec des trémolos dignes d’une pub pour une montre suisse.

Et Pujadas opine. Il relance. Il équilibre. Il saupoudre d’un sondage : "74 % des Français estiment que les très riches ne paient pas leur juste part d’impôt." Et tout le monde hoche la tête, même Victoire, qui ajoute qu’elle est "très favorable à une meilleure contribution", mais pas trop, attention, "pas punitive". On navigue dans l’oxymore fiscal.

Mais personne ne dira que Victoire a structuré sa holding au Luxembourg. Personne ne demandera combien elle a réellement payé en impôts sur les dividendes l’an dernier. Monique n’est pas là pour contester. Elle est là pour incarner. Le débat n’en est pas un. C’est un rituel de pacification. Une liturgie télévisée.

On sort de là avec une impression étrange. Comme après avoir mangé une soupe trop claire. Le goût d’un débat. La forme d’un échange. Et la conviction, en creux, que rien ne bougera.

Victoire rentrera chez elle avec chauffeur. Monique prendra le bus, si le ticket n’a pas encore augmenté. Et Pujadas, lui, pensera qu’il a fait œuvre de médiation. Que c’est déjà ça".

Bon. Reprendre ses esprits. Même sentiment de saisissement / désaisissement que la semaine dernière. On croit entendre "Victoire" et "Monique" (laquelle, dans la véritable émission de LCI,  s'appelle Josyane), et on voit Pujadas. L'IA a parfaitement anticipé les échanges d'une émission de ce type. Mais aussi sa critique : dans ce texte, je me découvre finalement aussi prévisible que le dispositif de Pujadas. Avec en prime cette troublante impression qu'une sorte de rongeur maniaque a pénétré dans mon cerveau, où il a grignoté tout ce qu'il pouvait grignoter, jusqu'à mes tics d'écriture les mieux incrustés, et l'a apparemment bien digéré. L'IA maitrise l'indignation glacée("si le ticket n'a pas encore augmenté"), l'ironie, avec une abondance de guillemets, comme ceux qui entourent "citoyenne", et surtout, le plus impressionnant, un des principaux ressorts de la critique media : la mise au jour de ce qui n'est pas dit dans les messages médiatiques. Ici, d'un point de vue de gauche : "personne ne dira que...". Sans parler de la chute lapidaire, cette chute d'une efficacité mortelle qui tombe comme un couperet, après laquelle courent tous les journalistes écrivants : "que c'est déjà ça". Boum.

Comme lundi dernier, au-delà du saisissement, à la seconde lecture, apparaissent des inélégances d'écriture dont j'espère ne pas être trop coupable. Je ne crois pas que j'aurais osé les "trémolos dignes d'une pub pour montre suisse", formulation lourdingue pour une image sans pertinence. Par ailleurs (dernier paragraphe), l'IA crédite Pujadas de sincérité dans sa "démarche de médiation". Je ne crois pas que je tomberais encore, à mon âge canonique, dans cette naïveté consistant à prêter la moindre naïveté à David Pujadas. Enfin, comme la semaine dernière, l'IA n'est pas à jour. Pas la moindre allusion au contexte politique immédiat de l'émission. L'un d'entre vous, dans le forum de la semaine dernière, assure que ses données les plus récentes remontent au printemps 2024. C'est possible.

Reste que ce ne sont que des défauts de jeunesse. L'IA a encore une certaine marge de progression, et si on le lui demandait, je suis certain qu'elle le reconnaitrait sans difficulté.


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