Johnny Depp et Hanouna : désinformation masculiniste en direct

Pauline Bock - - Intox & infaux - Les énervé·es - 63 commentaires

Cyril Hanouna a tort, mais qu'importe : il crie plus fort que les autres. Que les femmes, déjà (quelles hystériques, celles-là, aussi, à toujours vouloir le contredire), mais pas que : il crie aussi plus fort que les autres mecs en plateau, parce qu'après tout, c'est lui le chef. Et "c'est insupportable". Qu'est-ce qui est insupportable ? Les "relous" en plateau qui faussent les réponses unanimes au sondage. Une femme, en l'occurrence la chroniqueuse Danielle Moreau, a voté "oui" à la question : "Johnny Depp a été standing-ovationné (sic) à Cannes, est-ce que ça vous gêne ?" Ah, Danielle, ça te gêne ? T'es reloue ! C'est grave, quand même, c'est "insupportable". Après tout, "Johnny Depp a gagné son procès", "il a été blanchi", c'est Cyril qui le crie ! 

De toute façon, tout le monde est d'accord en plateau, alors pourquoi elle est reloue, Danielle ? "La justice a été faite", s'exclame Guillaume Genton, et puis "le palais des festivals, c'est pas un tribunal !"Bien sûr, renchérit Raymond Aabou, que"si tu as fait du mal et on t'applaudit, c'est gênant", mais"là, il n'a rien eu", alors pourquoi on l'emmerde ? "On peut aussi considérer qu'il y a des hommes qui tombent sur des grandes tarées", déclare tranquillement la chroniqueuse Sophie Coste, représentante en plateau des femmes-pas-tarées, si, si, elles existent. Johnny Depp, dit-elle, "il est tombé sur une tarée"

On ne laissera pas Danielle Moreau finir une phrase, mais elle parvient cependant en quelques bribes à développer un propos pertinent sur l'hypocrisie du monde du cinéma français : "Ces gens ont signé des pétitions pour #MeToo et compagnie. Les voir se lever [et applaudir Depp], je suis désolée, moi, ça m'a gênée." Elle rappelle qu'"il y a quand même 110 actrices" qui ont signé une tribune dans Libération pour dénoncer le système du festival de Cannes qui "soutient les agresseurs". Elle souligne que le procès Depp-Heard était "un procès en diffamation" et déclare qu'"on sait très bien qu'il a tapé Amber Heard". Bref, elle s'est (un peu) documentée sur le sujet : "Ce procès, ça a été dégueulasse." Réponse d'Hanouna : "Mais qu'est-ce que tu racontes, il a gagné son procès, il a été blanchi sur toute la ligne ! Danielle, t'es complètement à côté de la plaque."

Depp n'est pas blanchi et reste un "wife beater" pour le "Sun"

Ça n'étonnera sans doute personne, mais dans cette séquence, c'est Cyril Hanouna qui est complètement à côté de la plaque. Johnny Depp n'a jamais été "blanchi sur toute la ligne". Il n'a jamais été blanchi du tout : il a perdu son procès en diffamation contre le tabloïd britannique The Sun en 2020. Le Sun le qualifiait de "wife beater", "d'homme qui bat sa femme", et le tribunal a jugé que le journal en avait le droit, puisque 12 des 14 faits de violences conjugales cités par Heard ont été jugés "substantiellement vrais" par la cour. Le tabloïd continue d'ailleurs à décrire Depp comme un "wife beater" – il aurait tort de s'en priver.

Deuxième procès en 2022, toujours pas le moindre signe de "blanchissement sur toute la ligne" pour Depp : l'acteur attaquait son ex-femme Amber Heard en diffamation parce qu'elle avait écrit une tribune dans laquelle elle se disait "victime de violences conjugales" sans nommer Depp. Tous deux ont été condamné·es à verser des dommages et intérêts pour diffamation envers l'autre. Pour Cyril, qui ne comprend peut-être pas bien le droit : on n'est pas "blanchi" quand on est condamné. Encore moins dans un procès qu'on intente soi-même, et où l'on n'est pas la partie accusée. 

Cyril se plante donc sur toute la ligne, mais Cyril s'en fout : Amber Heard, dit-il, est "une mytho", Johnny Depp a été "blanchi" et c'est le seul message qui compte. Tant pis si c'est le mensonge misogyne qui a été relayé et défendu par tous les masculinistes sur les réseaux sociaux pendant et après le procès, comme nous l'analysions en 2022 dans une émission spéciale, et comme l'a depuis décrypté le très bon documentaire de Cécile Delarue pour La fabrique du mensonge sur France 5. Cette séquence est "de la désinformation masculiniste de base" pour la militante féministe (et spécialiste des réseaux masculinistes) Stéphanie Lamy, qui a annoncé saisir l'ArcomEn clamant que Johnny Depp a été"blanchi"et qu'Amber Heard est une "mytho", Hanouna répète et amplifie ces mensonges pour sa considérable audience, deux millions de fidèles enregistrés récemment. Rien de très neuf pour TPMP, qui n'a jamais brillé par son féminisme. Par ignorance ou par cynisme – et avant tout pour le buzz, le sondage ayant aussi été posté sur les réseaux sociaux –, il épouse un discours masculiniste coordonné et extrêmement efficace dans son seul but : réhabiliter un homme violent par le mensonge et la misogynie.

Danielle Moreau est disqualifiée à deux titres sur le plateau. D'abord, elle est reloue, elle ne vote pas comme les autres, elle chipote sur des termes juridiques et des tribunes, bref : elle est chiante. Ensuite, et c'est tout aussi révélateur de la fange masculiniste dans laquelle Hanouna se vautre joyeusement dans cette séquence : elle est une femme et plus âgée que les autres chroniqueur·euses, ce qu'on ne manque pas de lui rappeler lorsqu'un de ses collègues l'appelle "Nadine" (rire général pendant près d'une minute). Elle fait partie des vieux qui, n'ayant jamais vu un film de Depp, n'ont pas leur mot à dire. Ce que traduit Hanouna en clamant que "Danielle, elle est complètement à la ramasse" et "ne comprend rien". T'es reloue, mamie. Ou plutôt : "Tu vas aller prendre une soupe, ma chérie, et tu vas te calmer."

Cyril, si tu nous lis : le film de France 5 sur les mensonges masculinistes sur le procès Depp-Heard est visionnable gratuitement à cette adresse, et ASI t'offrira avec joie un accès à notre émission. C'est terrible, d'être à côté de la plaque comme ça, mais ça n'a rien d'irrémédiable. Allez, prends une soupe, calme-toi et pose-toi devant ton écran, papy.

Lire sur arretsurimages.net.