Procès Depp / Heard : "Les réseaux sociaux ont été déterminants"
La rédaction - - Nouveaux medias - 47 commentaires
Le 2 juin dernier s'est conclu le procès extrêmement médiatisé des acteurs Johnny Depp et Amber Heard, qui ont été en couple de 2011 à 2016. Le premier attaquait la seconde en diffamation pour avoir écrit dans le Washington Post
qu'elle était devenue une "figure de la lutte contre les violences conjugales"
, un article qu'il accuse d'avoir ruiné sa carrière. Tout au long des six semaines de procès, qui s'est tenu à Fairfax en Virginie, aux États-Unis, et qui a été filmé et retransmis en direct, les deux stars ont opposé leurs versions et accusé l'autre d'avoir été violent. Amber Heard a relaté des faits de violences conjugales et de viol durant les moments où Depp buvait, se droguait et devenait incontrôlable ; Depp a quant à lui déclaré qu'Amber Heard mentait, qu'elle était celle qui l'agressait, et lui la victime. Là où en 2020, un premier procès en diffamation initié par Johnny Depp contre le tabloïd britannique The Sun
qui l'avait qualifié de "wife beater"
(un homme qui frappe sa femme) s'était terminé par une défaite pour Depp, la star des films Edward aux mains d'argent
et Pirates des Caraïbes
considère que le verdict du 2 juin lui a "rendu sa vie" : Amber Heard a été condamnée à lui verser 10 millions de dollars pour l'avoir diffamé dans le Washington Post
(lui aussi a été condamné en diffamation envers elle, mais pour un montant bien moindre).
L'avocate Me Nathalie Tomasini, spécialiste de la défense de victimes de violences conjugales ; Giuseppina Sapio, chercheuse spécialiste de la médiatisation des violences conjugales au Centre d’études sur les médias, les technologies et l’internationalisation (Cémti) et maîtresse de conférences à l'université Paris 8 ; et Patricia Neves, journaliste basée aux États-Unis qui a couvert le procès pour Mediapart
, sont les invitées de Pauline Bock pour analyser l'hyper-médiatisation du procès, l'influence des réseaux sociaux et de leurs biais pro-Johnny Depp sur le verdict, le traitement de la parole d'Amber Heard par les médias et l'opinion publique et les craintes de "retour de bâton"
du mouvement #MeToo.
"Ces plateformes encouragent un discours de haine"
Le procès a été intégralement filmé et suivi, partout dans le monde, par des millions de personnes en direct. Sur les réseaux sociaux, YouTube ou TikTok, les utilisateurs ont majoritairement soutenu Johnny Depp et moqué, insulté, voire menacé Amber Heard, qui a immédiatement été jugée menteuse et non-crédible. En France, le YouTubeur Locklear a chroniqué le procès dans plusieurs vidéos Twitch et YouTube, dans lesquelles il qualifiait Heard de "menteuse"
, "démon"
, de "sal****"
. Après avoir visionné un extrait de ses propos, la chercheuse Giuseppina Sapio explique avoir observé un "discours de haine"
sur des plateformes comme YouTube pendant le procès. "Sous prétexte de faire rire"
, dit-elle, ces vidéos et ces mèmes véhiculent une "haine sexiste"
.
L'image de la "bonne victime"
Des vidéos et mèmes, dans leur immense majorité en faveur de Johnny Depp, ont déferlé en ligne durant tout le procès. Pour Amber Heard, qui a donné une interview à la télévision américaine NBC après le verdict, "une grande majorité du procès s'est jouée sur les réseaux sociaux"
et il était "impossible"
pour les jurés d'y échapper. Pour Me Tomasini, si les réseaux sociaux ont en effet été "déterminants"
, Heard aurait dû mieux s'y préparer : "Aujourd'hui, un procès ne se joue pas seulement dans les tribunaux", dit-elle en précisant qu'Heard le "savait"
et aurait dû se servir des réseaux sociaux comme d'un "outil"
. L'actrice n'a pas su jouer le rôle de la "bonne victime"
, un stéréotype malheureux qui existe dans la "conscience collective"
et avec lequel il faut composer, explique l'avocate.
Ce verdict "crée une ouverture" pour les hommes accusés
Selon Me Nathalie Tomasini, à qui Pauline Bock demande si ce verdict dans l'affaire Depp / Heard crée un précédent juridique pour des affaires similaires, "en effet, ce procès crée une ouverture"
. Lorsqu'un homme accusé dépose plainte pour dénonciation calomnieuse et diffamation contre la ou les femmes qui le dénoncent, cette plainte "laisse présumer leur innocence"
. Mais, ajoute-t-elle, ils "ouvrent aussi la boîte de Pandore"
: les femmes qui se disent victimes et se retrouvent accusées de dénonciation calomnieuse doivent alors "préparer leur défense"
, voire lancer une action en parallèle.
Pour aller plus loin
- L'article de Patricia Neves pour Mediapart
sur le procès
- Un entretien dans Télérama
avec l'universitaire Barbara Formis et un débat sur France Culture avec l'avocate Laure Heinich sur le tournant pour #MeToo
- Sur l'image de la "bonne victime" et le traitement d'Amber Heard, lire le très bon article d'AOC Media
, ainsi que la comparaison avec le mythe de Medusa (blog Mediapart
) et, en anglais, le détail des accusations et de "l'assassinat" médiatique de Heard (Medium
)
- Quelques ressources en anglais sur le rôle des médias (New York Times
) et les biais des journalistes dans la couverture du procès (CJR
), l'inquiétude des associations de défense de victimes suite au verdict (New Yorker)