Enfin "vus à la télé" : les "faux documents" de Bardella
Robin Andraca - - Déontologie - Les énervé·es - 37 commentaires
Et enfin, ils apparurent sur BFMTV !
Eux, ce sont les fameux "faux documents" révélés par Libé depuis septembre, fabriqués par le RN pour justifier l’emploi d’assistant parlementaire de Jordan Bardella (qu’il aurait occupé, pendant 4 mois et demi, en 2015). Et ainsi lui permettre d’éviter le procès des assistants parlementaires du FN, où le parquet a requis cinq ans de prison, dont deux ferme, et cinq ans d’inéligibilité contre Marine Le Pen.
Parmi les dizaines de documents en question, deux sont clairement ressortis du lot : une revue de presse antidatée et paraphée de la main-même de Jordan Bardella, et un agenda de 2015, acheté en 2018, antidaté lui aussi. Au vu des preuves solides apportées par Libé pour démontrer que ces documents sont de fausses preuves de travail et ne datent pas de la bonne période - ici un bon de commande, là un copyright mal effacé - leur existence fait peu de doute.
Mais jusque-là, comme le racontait Pauline Bock, les journalistes télé - et ce alors que les occasions ne manquaient pas - avaient jugé plus sage de ne… rien montrer, voire de ne pas poser de question à ce sujet. Nous n’étions pas les seuls à nous interroger. Présente sur notre plateau, vendredi dernier, Marine Turchi, journaliste à Mediapart, semblait partager notre désarroi.
Et puis vint Benjamin Duhamel. Lundi 18 novembre, il interviewe Jordan Bardella sur BFMTV. 22h39, le long face-à-face touche à sa fin, et le journaliste lance au président du RN : "Je voudrais qu’on parle de vous dans cette affaire des assistants parlementaires."
Il raconte ensuite l’histoire, déjà contée ci-dessus, tandis qu’à l’écran - magie noire du journalisme - s’affichent les documents en question (la séquence est visible ici). D’abord la fausse revue de presse, puis le faux agenda.
On distingue mal ce qui est écrit dessus, mais à l’antenne, l’effet est malgré tout saisissant, bien amplifié par le zoom progressif de la caméra sur les faux en question, ne laissant bientôt plus voir à l'image que Bardella face aux faux, les bras croisés, multipliant les allers/retours entre les documents et Benjamin Duhamel, l'air interdit. "Est-ce que vous pouvez nous affirmer, Jordan Bardella, les yeux dans les yeux, qu’il ne s’agit pas ici de votre écriture et de votre signature ?", questionne Duhamel.
Hésitations, puis : "Ce n’est pas moi qui ai produit ces documents, et ce n’est pas mon écriture." Puis : "Non mais je ne sais même pas ce que c’est ça, vous me montrez des trucs, je ne sais même pas ce que c’est." Avant d’ajouter - comme pour mieux contredire ce qu’il venait de déclarer - que Libération était poursuivi en diffamation pour cela. Plainte qui, d’après les dires du journaliste de Libé dans notre émission, n’a toujours pas été déposée.
Toujours à propos de Libé, Bardella s’enlise et Duhamel réplique.
- Libération est un journal d’extrême gauche.
- C'est un journal qui fait son travail.
- Ils ne font pas leur travail, ils font les poubelles.
Le menton appuyé sur son poing, Benjamin Duhamel enchaîne : "Qu’est-ce que vous faisiez quand vous étiez assistant parlementaire ?".
Réponse de Bardella : "Pardon vous n’êtes pas juge, pas procureur, et soyez fier de ça, vous n’êtes même pas journaliste à Libération."
Réplique à nouveau de Duhamel : "Pourquoi tant d’agressivité Monsieur Bardella, alors qu’on vous présente juste des pièces ?". Le président du RN perd alors son sang-froid. "Ça vous gêne parce que vous auriez aimé que je sois sur le banc des accusés. Vous auriez tellement aimé, mais c’est raté, parce que je n’y suis pas".
Plus tôt dans la soirée, le même Bardella était déjà apparu en difficulté face à Maxime Switek. Le journaliste lui faisait alors remarquer que, si le président du RN estimait qu’il fallait un casier vierge pour se présenter comme candidat du RN, cela pourrait empêcher Marine Le Pen de se présenter en 2027, dans le cas où elle était condamnée. Là aussi, hésitations et balbutiements de Bardella.
Ces deux séquences ne doivent pas faire oublier le reste de l’émission. Bardella y a principalement été interrogé sur l’immigration et la sécurité, alors qu’on aimerait davantage l’entendre sur l’écologie (par exemple). Ni faire oublier que les chaînes de télévisions privées - mais aussi le service public - ont mis, et ce depuis plusieurs années, les obsessions du RN au coeur du débat médiatique.
Pour autant : hier soir, sur BFMTV, Benjamin Duhamel a non seulement montré à quel point les journalistes qui l’ont précédé face à Bardella avaient eu tort de ne pas poser cette question, et de ne pas montrer ces documents. C’était non seulement pertinent d'un point de vue journalistique, mais en plus très télégénique. Mais aussi rappelé l'impact que peut avoir une question bien posée à la télévision.
Du moins, le pensais-je, avant d’aller lire les dizaines de commentaires postés sur la chaîne Youtube de BFMTV, sous l’entretien en question, long de 2 heures et 12 minutes. Tous, sans exception, glorifient la prestation de Bardella et critiquent - violemment souvent - le comportement des journalistes présents en plateau. Morceaux choisis :
La liste à faire défiler est longue, très longue, mais les dizaines de commentaires vont tous dans le même sens : Bardella est gentil, et il est victime d’un acharnement médiatique (pour résumer). Pas un seul pour mentionner, comme je le fais ici, la pertinence de certaines questions, ou choix éditoriaux.
Difficile, évidemment, de tirer une conclusion limpide de plusieurs centaines de commentaires Youtube, postés sous une vidéo vue seulement 34 000 fois sur ce réseau (et par près de 3,4 millions de télespectateurs en cumulé sur BFM, selon la chaîne).
Mais tout de même, à la vue de ces chiffres et de ces commentaires, cette question : que ce soit face à du bon ou du mauvais journalisme, le RN ne l'emporte-t-il pas à chaque fois ? En attendant d'avoir la réponse, une seule certitude : mieux vaut quand même que ce soit face à du bon.