Rassemblement national : "Quand vous parlez du livre de Bardella, vous ne parlez pas du procès"
La rédaction - - 43 commentairesTélécharger la video
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Le procès dit des "assistants parlementaires du RN"
touche à son terme : des peines de prison et cinq ans d'inéligibilité ont été requises contre Marine Le Pen et les 24 autres cadres du Rassemblement national prévenus dans cette affaire. Ils sont accusés d'avoir rémunéré des membres de leur parti en détournant des fonds du Parlement européen destinés aux assistants parlementaires de leurs eurodéputés, entre 2009 et 2014. Pendant ce temps, le président du RN Jordan Bardella poursuit sa tournée médiatique pour promouvoir son livre autobiographique, Ce que je cherche
, qui vient de sortir aux éditions Fayard. Il répète à l'envi qu'il n'est "pas concerné"
par le procès, bien qu'il ait lui aussi été assistant de l'eurodéputé FN Jean-François Jalkh en 2015.
Comment les médias ont-ils couvert ce procès ? Comment est accueillie la défense du Rassemblement national ? Jordan Bardella n'est-il vraiment "pas concerné"
par toute cette histoire ? Son livre, et les polémiques qui l'entourent, n'agit-il pas comme un contre-feu médiatique de grande ampleur ?
Pour en discuter, nous invitons Marine Turchi, journaliste au pôle enquête de Mediapart
qui a révélé, en 2014 avec le journaliste Mathias Destal, l'affaire de détournement de fonds européens du RN ; Tristan Berteloot, journaliste à Libération
qui a enquêté sur les fausses "preuves de travail"
censées témoigner du poste d'assistant parlementaire européen de Jordan Bardella en 2015 ; et Estelle Delaine, politologue et maîtresse de conférences à l'université de Rennes, qui a travaillé sur l'organisation du Rassemblement national au Parlement européen.
"La loi s'applique à tous"
Devant les médias Bolloré qui reprennent à leur compte les accusations de "procès politique"
lancées par le Rassemblement national à l'encontre des juges, Tristan Berteloot observe "un gros décalage"
entre les déclarations des éditorialistes de CNews, "qui ne sont pas venus en salle d'audience et ne connaissent sans doute pas le dossier"
, et les réquisitions, qu'il estime "extrêmement logiques"
. Il rappelle que "le tribunal juge au nom du peuple, en appliquant des lois votées par des parlementaires, qui sont représentants du peuple"
et que "la loi s'applique à tous"
.
"Les sommes en jeu sont énormes, ça devrait quand même être un séisme"
Pour Marine Turchi, "il y a un problème dans la manière dont sont amenées, expliquées et mises en avant les affaires de corruption"
: "Il ne faut pas s'étonner que les gens se désintéressent des affaires de corruption en France si on ne fait pas l'effort, par exemple, de les mettre à la Une des grands hebdomadaires."
Bien sûr, dit-elle, il y a une couverture du procès des assistants du RN, mais y a-t-il une recontextualisation, des articles expliquant pourquoi les faits sont graves et pourquoi c'est une affaire majeure ? "Je ne suis pas sûre"
, dit-elle. Est-ce parce que cette affaire est moins symbolique que, par exemple, "Jean-Michel Blanquer à Ibiza"
, ou "François de Rugy et son homard"
- qui sont pourtant moins graves que les faits reprochés à Marine Le Pen, souligne-t-elle ? "Les sommes en jeu sont énormes, donc ça devrait quand même être un séisme."
"Ces éléments de langage imprègnent beaucoup les reportages"
Estelle Delaine explique avoir été choquée d'entendre, sur la radio Franceinfo, un journaliste expliquer que "Marine Le Pen serait empêchée de se présenter à la prochaine élection présidentielle"
: "La formulation, la structure de la phrase, est quand même particulière", dit-elle : "On a l'impression que c'est : «On empêche Marine Le Pen de concourir à l'élection présidentielle», alors que si on l'avait formulé autrement, ça serait simplement : «Marine Le Pen est empêchée par elle-même, parce qu'elle a eu une utilisation des frais du Parlement européen qui a été frauduleuse»."
C'est important, explique-t-elle, car cette formulation "donne un autre regard sur l'affaire en cours"
: utiliser ces éléments de langage qui proviennent directement du RN, c'est "une victoire dans la rhétorique frontiste : dire qu'un petit monde politico-médiatique et juridique s'acharne contre le parti pour l'empêcher de gagner les élections"
.
Pour Marine Turchi, "cette rhétorique de l'empêchement rejoint celle de la censure"
. La journaliste précise que "si ce storytelling a autant pu prospérer, c'est aussi parce que Marine Le Pen s'est organisée en amont pour communiquer"
. Elle était non seulement présente au procès, dit-elle, mais également à disposition des journalistes pour "distiller son ressenti, son storytelling"
. Et, au final, "ces éléments de langage imprègnent beaucoup les reportages"
.
"Quand on a sous la main Jordan Bardella, on fait son travail et on pose ces questions"
Dans Quelle époque !
sur France 2, Léa Salamé questionnait Jordan Bardella : "Si jamais Marine Le Pen était empêchée, si elle était condamnée, est-ce que vous irez [à la présidentielle] ?"
À la place de Salamé, quelle question nos invités auraient-ils posé, se demande-t-on ? "Tout simplement, montrer les documents révélés par Libération, et dire : «Ça, monsieur Bardella, c'est votre écriture dessus ? Ou est-ce que c'est des faux, et si oui, faits par qui ?»"
répond Marine Turchi, qui considère ces deux questions "ultra-simples"
, qui "auraient dû être posées depuis longtemps, dans des conférences de presse, dans des émissions où ils ont sous la main des responsables du Rassemblement national"
. Elle ajoute : "Quand on a sous la main Jordan Bardella, qui ne peut pas s'échapper du plateau, on fait son travail et on pose ces questions."
Pour aller plus loin
- Le livre de recherche d'Estelle Delaine, "À l'extrême droite de l'hémicycle. Le Rassemblement national au cœur de la démocratie européenne"
- La tribune d'Estelle Delaine sur le procès dans le Monde
- Les enquêtes de Tristan Berteloot pour Libération
sur les fausses preuves de travail de Jordan Bardella, et son suivi du procès des assistants du RN
- Les enquêtes de Marine Turchi pour Mediapart
: sur les premières révélations sur l'affaire des assistants du RN en 2013 et 2014, sur le rapport de l'Olaf ou encore sur les sommes que demande encore le Parlement européen à Marine Le Pen
- Les livres-enquêtes de Tristan Berteloot sur le RN, "La Machine à gagner: Révélations sur le RN en marche vers l'Elysée"
(ed. du Seuil) et de Marine Turchi et Mathias Destal sur l'affaire des assistants du RN, "Marine est au courant de tout"
(ed. Flammarion)