Vers le 11 mai, dans le brouillard
Daniel Schneidermann - - Le matinaute - 183 commentaires
Et pendant ce temps, brûle la forêt de Tchernobyl. Les flammes, selon Greenpeace, sont à moins de deux kilomètres du sarcophage de la centrale, et l'incendie libère des particules radioactives . Je commence par là, parce que les radios du matin n'en ont pas parlé. C'est loin, Tchernobyl (et apparemment les particules ne menacent pas l'Europe). Moins loin que Wuhan, où une petite pneumonie d'origine inconnue, début janvier, ne faisait que des brèves. Mais loin tout de même. Pour l'instant. En attendant, ne serait-il pas utile de se soucier des stocks stratégiques de pastilles d'iode ?
Macron, donc. Croyez-moi ou non, j'adorerais pouvoir saluer ce matin, comme mes confrères conquis de BFM ou du Monde
, une cohérence enfin retrouvée, une perspective claire de sortie de crise, un cap. J'adorerais jouer comme tout le monde au jeu du churchillomètre. J'adorerais pouvoir retrouver cette sacrée confiance. Mais hélas, le mensonge entraine le mensonge. Et ce virus du mensonge a contaminé l'annonce par le président de la réouverture "progressive", à partir du 11 mai, des crèches, des écoles, des collèges et des lycées. Pourquoi si tôt, alors que les porte-parole officieux du JDD avaient laissé entrevoir une rentrée en septembre ? Pour lutter contre la fracture numérique, assure Macron : " Trop
d’enfants sont privés d’école sans avoir accès au numérique et ne peuvent être aidés de la même manière par les parents."
Bien entendu, c'est une blague. Le gouvernement souhaite ré-ouvrir les établissements scolaires, pour que les parents des enfants ainsi re-scolarisés puissent retourner au travail. Le gouvernement sait que cette ré-ouverture précoce fera des contaminations, et des morts. Il sait que des enfants de quatre ans ne feront pas les "gestes-barrière". Mais l'économie réclame ses droits. Cela s'appelle, même si le terme maudit n'est pas prononcé, "l'immunité collective contrôlée", dont chacun pouvait pressentir qu'elle ferait partie de la panoplie de solutions.
A propos d'économie, il me semble tout à fait légitime qu'elle réclame ses droits. Mais quelle économie ? La convention citoyenne, ce week-end, a fait connaître ses premières propositions. Vos medias vous en ont autant parlé que de l'incendie de Tchernobyl, c'est dire. Prenez le temps de les lire, elles sont par exemple ici. Macron les a-t-il lues ? Il n'en a pas dit un mot. Pourtant, ne serait-ce pas le moment d'inclure dans le plan d'ensemble une petite pensée pour la planète ?
Je ne conteste pas ce choix du 11 mai, je n'ai nullement la compétence qui permettrait de choisir entre des mauvaises solutions (puisqu'il n'en est que de mauvaises). Mais le seul fait qu'on refuse de l'appeler par son nom, bloque toute confiance. Et je ne crois pas être le seul. D'ailleurs, Macron refait avec la pénurie de tests le coup de la pénurie de masques : cela ne servirait à rien de tester tout de monde, glisse-t-il, comme le gouvernement nous expliquait en mars que le masque pour tous n'était pas une solution. Spirale du mensonge, spirale de la défiance.
Quel serait un discours de vérité ? Il serait tout simple. Il consisterait à dire ceci : "du fait de nos erreurs, et de celles de nos prédécesseurs, nous n'avons aujourd'hui le choix qu'entre des mauvaises solutions. Nous allons tenter de choisir la moins mauvaise, et de nous en sortir le moins mal possible. Françaises français, merci de votre attention". Simple, non ?
D'ailleurs, avez-vous remarqué ? Le président n'a pas parlé de son "conseil scientifique". Quand on nous confina, le "conseil scientifique" était omniprésent. Ensuite, on en créa un autre. Disparus aujourd'hui. Macron a "consulté", assure-t-il aujourd'hui. Où est l'avis du "conseil scientifique" préconisant la date du 11 mai ? Qu'on le publie tout de suite ! comme le demande, avec raison le socialiste Olivier Faure.
Je n'ai pas à dire aux profs, ou aux parents d'élèves, ce qu'ils doivent faire. Je sais simplement que je serais prof, ou parent d'enfants d'âge scolaire, j'hésiterais beaucoup avant de reprendre, ou de faire reprendre, le chemin de l'école. Au moins, j'exigerais que chaque élève, chaque adulte, soit testé avec un test incontestable (ce qui est peut-être possible dans un délai d'un mois, si l'on croit aux miracles). Faute de quoi, et si j'avais l'esprit moins rebelle, je me lancerais dans la fabrication de masques. Pour les miens, pour les autres. C'est peut-être le plus sage conseil donné par l'invité de notre émission de la semaine, le médecin Christian Lehmann. Puisque preuve est faite qu'on ne peut pas compter sur eux, comptons sur nous.
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