Trump raciste : le dire ?
Daniel Schneidermann - - Le matinaute - 77 commentaires Télécharger la videoTélécharger la version audio
Il aura fallu l'affaire du juge Gonzalo Curiel. Il aura fallu une sombre affaire
de plainte d'étudiants contre une université fondée par Donald Trump. Il aura fallu que le juge Curiel, de San Diego, instruise cette affaire sans complaisance pour le milliardaire. Il aura fallu que Trump demande la récusation de ce juge au motif de ses origines mexicaines. Il aura fallu tout cela, pour que les medias mainstream américains, suivant l'exemple de Buzzfeed, se posent sérieusement la question de qualifier le candidat républicain de "raciste". Sa kyrielle de délires verbaux sur les Mexicains ou sur les Musulmans n'aura pas suffi.
Il existe de nombreux moyens, pour la presse, de contourner cet épineux problème de la qualification. Un journaliste peut toujours écrire "accusé de racisme", "taxé de racisme par certains", etc. Il peut toujours interviewer d'éminents spécialistes du racisme, à qui reviendra la tâche de délivrer l'infâmante qualification. Mais vient un moment où l'on ne peut plus se cacher derrière son petit doigt. Où l'on doit bien affronter la question. Non pas celle de savoir si Trump est, au fond de lui, raciste, ce qui ne présente aucun intérêt. Mais si son discours l'est, s'il utilise, s'il manie le racisme.
Buzzfeed, donc, autorise ses journalistes, dans leurs tweets, à le qualifier de "raciste", et de "menteur". S'ils évoquent désormais ouvertement la question, les medias les plus installés hésitent pourtant encore à sauter le pas. Pourquoi ? Parce qu'ils sentent bien, sans doute, que c'est une décision sans retour. Pour des medias institutionnels, dont les journalistes participent aux conférences de presse du gouvernement, posent des questions, publient des interviews, se font accréditer dans des voyages de presse, portent des badges d'accréditation, négocient des scoops, déjeunent, dînent, établissent et respectent des règles du jeu avec des dirigeants politiques, pour des medias, aussi, qui comptent sur les sorties de route de Trump pour faire du clic ou de l'audience, signifier à Trump, a fortiori s'il est élu, qu'il est raciste, c'est le placer hors-jeu. Reproduire ses propos, c'est reproduire des propos racistes. Or, Trump président, les medias sentent bien qu'ils auront toujours besoin de ses déclarations, des infos que distillera son entourage, ou le gouvernement qu'il aura nommé, pour continuer de couvrir la Maison Blanche.
Et s'ils se trompaient ? Que les medias se détournent du président Trump, qu'ils investissent leur énergie investigatrice dans les conséquences de la politique du président Trump sur la population américaine, ou sur les autres peuples du monde, qu'ils sortent de l'état hypnotique dans lequel les plongent ses mots pour s'intéresser davantage à ses actes, au détail des lois qu'il fera adopter, serait sans doute la meilleure chose qui pourrait arriver au système médiatique moribond américain. Pour la presse, pour son indépendance, pour sa pugnacité, pour sa crédibilité, l'élection de Trump pourrait être l'occasion d'un salutaire réveil, comme le fut pour certains medias français celle de Sarkozy en 2007.
Donald Trump, by Alain Korkos