Territoires inattendus de l'emprise
Daniel Schneidermann - - Scandales à retardement - Le matinaute - 84 commentaires
Elle ressemble donc à ça, Camille Kouchner. À cette femme simple, qui ne tente rien d'autre que de plaquer des mots simples et justes sur une pelote inextricable d'ignomnies et de perversités. De ce labyrinthe affectif, il a fallu s'extraire par les mots. "Par un livre"
répète plusieurs fois François Busnel, qui l'a invitée à La Grande librairie. Oui, par un livre. Il y a les mots évidents - inceste, suicide, beau-père - et puis tous les autres, et il faut tracer son chemin, à la mince lueur des sollicitations de tous ces mots qui se bousculent dans le noir, non non pas celui-ci, ni celui-là, non c'est bien celui-ci le plus juste, celui qui sonne le mieux, qui s'impose, dans les embrouilles. C'est ça, écrire. Le beau-père, même si elle l'a "beaucoup beaucoup aimé"
, c'est presque simple à la longue : un salaud. Mais la mère. Tant de toxicité et d'amour à la fois. D'ailleurs, répète-t-elle, ce sont d'autres livres qui l'ont aidée à poser ses mots.
Et on sent bien, même sur le plateau de la seule émission à laquelle elle participera, que ce n'est pas terminé. Qu'il faut encore et toujours, par exemple, s'agissant des adolescents, démêler désir et consentement. Ou rectifier, quand nécessaire, entre secret et emprise. "On parle de secret. Le secret, c'est comme si on avait été d'accord pour partager quelque chose entre nous, qu'on ne dirait à personne. Mais on a été pris dans la même emprise. On co-partageait une emprise, et c'est pas un secret, ça. On est dépositaires de choses, on n'en a pas vraiment envie, et c'est ce qui nous tombe sur la tête"
. Ce continent de l'emprise, qu'on n'en finit pas d'explorer.
L'emprise, et ses territoires inattendus. Toute la presse titre ce matin sur cette grande victoire démocratique : Trump va donc affronter sa seconde procédure d'impeachment
, grâce au vote favorable de dix élus républicains. Bravo ! Vive les dix ! Mais le contrechamp, c'est qu'il ne s'est trouvé QUE dix élus républicains, pour voter en faveur de la procédure de destitution. Dix, contre 197. Alors que Trump a laissé ses troupes plusieurs heures arpenter le Capitole sans les rappeler à l'ordre constitutionnel. Alors que bivouaquent comme en campagne, dans les couloirs du Capitole, sous les yeux du monde, des dizaines de membres de la Garde Nationale. Alors que AOC, par exemple, explique avoir cru mourir, et avoir craint que des collègues parlementaires suprémacistes blancs guident les émeutiers jusqu'à elle, alors que certains menaçaient de pendre le vice-président Pence, que se passe-t-il, dans la tête des 197 ? Attendent-ils encore des bienfaits du milliardaire ? Mais lesquels ? Est-ce la peur, qui ne s'est pas encore dissipée ? Oui sans doute. Mais impossible de ne pas y voir, là aussi, une forme d'emprise.