Stéréotypes : Super Dupont à la rescousse
Daniel Schneidermann - - (In)visibilités - Le matinaute - 94 commentaires
Et les Juifs ? demande Rokhaya Diallo, ce matin, à Guillaume Erner sur France Culture. Et si on représentait, sur un mur de l'Assemblée Nationale, les Juifs avec de gros nez et des doigts crochus, quelle serait la réaction ? Il est évidemment question du dernier scandale en date, cette fresque sur l'abolition de l'esclavage, affichée dans un couloir de l'Assemblée, et qui montre les Noirs libérés avec des sourires bienveillants/carnassiers, et de grosses lèvres lippues (on vous en parle ici). L'artiste, Hervé Di Rosa, est apparemment insoupçonnable d'intentions racistes, lui qui a fondé le Musée International d'Art Modeste (MIAM) de Sète (Hérault), lequel héberge en ce moment une vibrionnante expo sur Kinshasa (je l'ai visitée, et la recommande), vue par des artistes africains.
Mais pour ceux qui demandent le décrochage des photos de Di Rosa, comme pour ceux qui ont interdit récemment la représentation des Suppliantes d'Eschylle par des étudiants de la Sorbonne, peu importent les intentions des auteurs. Si l'oeuvre est reçue
comme offensante par une catégorie opprimée, on la supprime -quelle que soit la représentativité de ceux qui expriment l'offense. Point Barre. C'est évidemment une position radicale, ne laissant plus aucun espace à la liberté d'expression et à la création artistique.
Pour tenter, en tant que Blanc, de se faire une opinion, je ne crois pas que le parallèle avec les stéréotypes antisémites soit le plus opérant. Le stéréotype antisémite (nez busqué, doigts crochus) est hostile. Le Juif est dépeint comme un avide suceur de sang. Le stéréotype négrophobe de l'époque coloniale, en revanche, est faussement bienveillant. Le Noir est un grand enfant joyeux et impulsif, à civiliser. La persistance de ce stéréotype peut donc s'abriter derrière cette absence d'hostilité.
Sans doute une comparaison plus opérante mettrait-elle en scène les stéréotypes anti-Français moyen. Il faudrait par exemple imaginer, dans un couloir du Congrès de Washington, une fresque sur la Libération de la France en 44, mettant en scène de sympathiques Français en marcel, portant bedon, béret et baguette de pain sous le bras, congénitalement collabos, les immortels Super Dupont de Gotlib et Alexis. Quelle serait notre réaction ?