Radicalisation (s)
Daniel Schneidermann - - Le matinaute - 95 commentaires
Un gendarme boxé à Paris (deux jours d'ITT), un autre gendarme frappé à terre (15 jours d'ITT), la porte du secrétariat d'Etat aux relations avec le Parlement défoncée par un engin de chantier, ce qui a conduit à l'exfiltration du porte-parole Benjamin Griveaux : les images de "riot porn" de "l'acte 8" des Gilets jaunes, images exclusivement retenues par BFM dans sa synthèse du week-end attestent, en ce début d'année, d'une incontestable radicalisation. Mais de qui ?
Un boxeur s'en prend à deux gendarmes, intrusion dans le ministère de Griveaux: de nouvelles violences ce week-end à Paris pic.twitter.com/xYxjQhuGm1
— BFMTV (@BFMTV) 7 janvier 2019
Radicalisation du mouvement, sans aucun doute. Défoncer une porte de ministère est une première, dans l'histoire récente de la République (première qui, accessoirement, commence à coller une étiquette "fusible" sur le front du préfet de police Delpuech). Faut-il, comme Anne Sinclair ou, dans un certain confusionnisme historique, Bernard-Henri Lévy, y voir la trace d'un renforcement de l'infiltration d'extrême-droite au sein du mouvement, concurrente de l'infiltration numérique de la cathosphère, qui a réussi à injecter du Mariage pour tous dans un mouvement qui s'en contrefiche ? N'éliminons pas l'hypothèse, d'autant que l'intrusion est revendiquée par un site d'extrême-droite gratiné, jusqu'ici inconnu à mon bataillon personnel, Leonfrance.
Mais cette radicalisation surexposée en cache une autre, celle du pouvoir, moins lisible, mais "devinable", en filigrane, à de multiples signaux faibles. Comment interpréter autrement l'allocution de voeux d'Emmanuel Macron, dans laquelle, à la différence de son intervention du 13 décembre, tout signe de concession au mouvement a disparu ? Comment interpréter autrement la martiale déclaration du même porte-parole Griveaux à la veille de son exfiltration mouvementée, après le premier Conseil des ministres de l'année, promettant d'être "plus radicaux"
? Le pouvoir se fracture-t-il entre une aile dure, et une aile plus modérée ? Quelques jours avant le week-end, Mounir Mahjoubi lançait à des Gilets jaunes provençaux : "plus je vous écoute, plus je suis d'accord avec vous"
. Fissure ? Une lecture plus attentive du reportage décrit ses interlocuteurs "anti-normes, et anti-réglements"
. Sur le fond, Mahjoubi est-il vraiment en désaccord avec Griveaux ?
Tout aussi complexe à interpréter est la démission annoncée de Sylvain Fort, l'homme des discours de Macron, démission qui, à en croire plusieurs articles des chroniqueurs de la Cour elyséenne, prélude à d'autres départs au sein du cabinet présidentiel. Départ en masse des rats du navire ? Ou au contraire, purge organisée par le président, comme le suggère par exemple un un titre du Figaro
, "Macron prépare un vaste remaniement de son cabinet à l'Elysée" ?
Quant au troisième acteur majeur du mouvement, la chaîne BFM (mais oui, BFM est un acteur, acteur apparemment incohérent, aux ressorts contradictoires, mais acteur tout de même !) elle aussi fait tout comme si elle n'avait rien compris aux reproches qui lui sont adressés, par exemple en ne conservant dans sa synthèse filmée ci-dessus QUE des images des violences jaunes, au détriment par exemple des violences commises le même jour par un officier de police toulonnais. Elle aussi se radicalise -ou si l'on préfère, se fossilise- dans son traitement exclusif du mouvement social en "riot porn". Faut-il déceler aussi, dans la banquise BFM, des signes de craquement ? Si l'aide-soignante de l'Eure Ingrid Levavasseur a finalement décliné la proposition de la chaîne d'intervenir comme chroniqueuse rémunérée , c'est sans doute en raison des menaces reçues (explication officielle). A remarquer tout de même que la Société des Journalistes avait protesté contre ce recrutement -même si on ne comprend pas ce que les journalistes de BFM reprochent exactement à leur direction. D'en faire trop sur les Gilets jaunes ? Mais alors, pourquoi ne pas simplement le dire ainsi ?