Barjot, LMPT : la cathosphère détourne une consultation sur les Gilets jaunes

Tony Le Pennec - - Numérique & datas - 43 commentaires

Le Conseil économique, social et environnemental, organisme constitutionnel ayant pour mission de conseiller le gouvernement, a clos vendredi 4 janvier une grande enquête sur les revendications des Gilets jaunes. Les propositions arrivant en tête n'ont pourtant rien à voir avec celles des Gilets jaunes... mais tout avec celles de La Manif pour tous, et de Frigide Barjot.

Six ans après sa création et ses grandes manifestations contre le mariage pour tous, les proches de la Manif pour tous semblent avoir gardé une grande capacité de mobilisation. Sur Internet, du moins. C'est ce que paraissent montrer les résultats de la dernière enquête en ligne menée par le Conseil économique, social et environnemental (CESE, organisme d'Etat composé de représentants du patronat, des syndicats et d'associations, ayant pour rôle de conseiller le gouvernement). Cette enquête, démarrée le 15 décembre et clôturée le 4 janvier à minuit, avait pour but de consulter les Gilets jaunes sur leurs revendications. Passée relativement inaperçue, elle a tout de même attiré 31 040 participants, qui ont formulé 9060 propositions, réparties en 10 catégories, et voté 260879 fois. 

Loi Taubira, PMA, GPA et loi bioéthique

Et les résultats ont de quoi laisser perplexe. La proposition arrivant en tête (5897 suffrages) est en effet... l'abrogation de la loi Taubira, permettant à deux personnes de même sexe de se marier. La deuxième (4611 votes) réclame de "Bâtir enfin une vraie politique familiale, globale et ambitieuse". En troisième position (3021 votes) arrive enfin un mot familier des rond-points, manifestations et groupes Facebook de Gilets jaunes : le RIC, référendum d'initiative citoyenne (voir notre émission sur le sujet). Sauf qu'il s'agit ici d'un RIC bien précis, visant à interroger la population "sur le projet de loi Bioéthique", et notamment sur la PMA et la GPA (le RIC tout court, lui, n'arrive qu'à la 21e place, avec 1072 votes). Dans les propositions qui suivent, la fin des subventions à l'éolien, l'"abolition universelle de la GPA" (pourtant déjà interdite en France), le "retour à l'universalité des allocations familiales", puis pas moins de huit propositions de l'Institut pour la justice, une association d'aide aux victimes, qui prône la fermeté pénale

Bref, dans le haut du classement, rien ne rappelle les revendications de Gilets jaunes. Et pour cause : ceux-ci semblent avoir largement ignoré la consultation du CESE (sur leurs groupes Facebook, ce sujet n'est presque jamais évoqué). Mais d'autres groupes de militants, structurés, eux, se sont manifestement intéressés à la consultation. Sur Twitter, on trouve des captures d'écran de messages incitant à voter pour certaines propositions relatives notamment à la PMA. 

Les rédacteurs y expliquent aux destinataires qu'ils n'ont "plus que 9 heures pour soutenir [leur] proposition d'autonomie citoyenne [...] pour obtenir le vrai débat, et sans plus [se] faire spoiler : PMA pour toutes : préférer une procréation par co-parentalité en l'absence de conjugalité entre homme et femme". La suite du message détaille la manière de voter sur le site du CESE, renvoyant même à une notice explicative.

Ces captures d'écran proviennent du site de l'Avenir pour tous, une association prônant non pas l'abrogation de la loi Taubira, comme la Manif pour tous, mais la coparentalité, c'est à dire la possibilité pour un enfant de vivre avec un couple de même sexe, mais en étant légalement l'enfant de son père et de sa mère biologique. Elle a été créée en 2013 par Virginie Tellenne, dite Frigide Barjot, à l'époque où cette ex-égérie de la Manif pour tous a été exclue du mouvement. Contactée par Arrêt sur images, la militante assume avoir créé plusieurs propositions sur le site du CESE et avoir appelé ses adhérents et sympathisants à voter pour, notamment via des envois de mail. 

"Le débat n'était pas ouvert qu'aux Gilets jaunes, note Tellenne. Et d'ailleurs, je reprends l'idée du RIC, une revendication des Gilets jaunes, pour l'appliquer à la loi de bioéthique. Pour réunir des votes dans ce genre de consultation, ce qui compte c'est d'avoir un gros fichier de contacts. Ceux qui ont fait leur petite proposition dans leur coin, ils ont eu trois votes, en comptant leur femme et leur chien." La militante parvient, entre le 1er janvier (jour où elle découvre l'existence de la consultation) et le 4, à hisser une proposition en troisième position des plus votées. Mais pas au niveau de celle demandant le retrait de la loi Taubira, portée selon Frigide Barjot par la Manif pour tous. "Elle a été enregistrée par le collectif onlr, qui est de la Manif pour tous." Pour elle, il ne fait pas de doute que cette organisation s'est servie de listes de mails pour inciter ses sympathisants à voter pour ses propositions. "La Manif pour tous a un très grand réseau, c'est grâce à cela qu'ils ont réuni tant de votes. D'ailleurs, si Priscillia Ludosky [qui a lancé la pétition contre la hausse des carburants et figure des Gilets jaunes] s'était servie de ses fichiers réunissant les contacts des votants à sa pétition Change.org pour inciter à aller voter pour certaines propositions, elle faisait un strike!"

La capacité de mobilisation de La Manif pour tous s'était déjà vue lors de l'élection de François Fillon comme candidat de la droite à la dernière présidentielle. La candidature de l'ancien premier ministre de Nicolas Sarkozy avait à l'époque été portée à bout de bras par les militants contre le mariage pour tous

La manif pour tous trolle le Cese

Il semble bien que cette force de mobilisation se soit encore une fois mise en branle pour porter ses idées sur le devant de la scène. Et, au passage, pour détourner le sondage du CESE. Dans le texte de la proposition numéro 1, portant sur l'abrogation de la loi Taubira, on trouve la phrase suivante : "Le 15 février 2013, le Conseil Economique Social et Environnemental (CESE) a été saisi d'une pétition recueillant 700 000 signatures, qui demandait l'organisation d'un véritable débat démocratique concernant la loi sur le "mariage" de personnes de même sexe. A ce jour, il n'a été donné aucune suite sérieuse à cette procédure qui a été traitée par le mépris." Le contentieux avait même dû être traité par le Conseil d'Etat, qui en 2017 avait tranché en faveur du CESE, lui reconnaissant le droit de ne pas se pencher sur la pétition de la Manif pour tous. Mais l'organisation, expulsée par la porte du CESE, a saisi la première occasion pour revenir par la fenêtre.

Reste une question : si la Manif pour tous a bien mobilisé ses militants pour saturer l'enquête du CESE de ses propres revendications, est-ce pour faire croire que les Gilets jaunes s'y rallient largement, ou seulement pour créer du buzz et faire parler de ses idées ? La lecture de cet article de La Croix, fait plutôt pencher vers la deuxième hypothèse. 

Pendant tout le mois de décembre, raconte le journal catholique, des militants de la Manif pour tous sont allés sur les rond-points sonder les Gilets jaunes sur le mariage pour tous, la PMA et la GPA. Et de l'aveu même de Ludivine de La Rochère, la présidente de l'organisation, ces questions n'intéressent absolument pas les Gilets jaunes. "Sur les ronds-points, on n’entend pas vraiment de revendication quant à la défense d’un modèle de famille plutôt qu’un autre", reconnaissait la militante. Il était donc urgent qu'on les entende ailleurs...

Prochaine étape de la grande enquête du CESE, désormais close : l'analyse et la synthèse des résultats. Le Conseil devra alors résoudre un sacré dilemme : doit-il faire semblant de prendre au sérieux les résultats de son enquête et conseiller au gouvernement, pour calmer les Gilets jaunes, de revenir sur la loi Taubira ? Ou va-t-il reconnaître que son enquête donne des résultats non viables, et la mettre à la poubelle? Une fois cette étape passée, le CESE pourra peut-être se pencher sur une autre question : est-il bien sérieux qu'un organisme constitutionnel, ayant pour mission de conseiller le gouvernement, fonde ses avis sur des enquêtes menées en ligne, sans aucun garde-fou contre les offensives de groupes organisés mais nullement représentatifs? 

Contacté, le CESE n'était pas joignable ce samedi.

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