Quand les nerfs lâchent...
Daniel Schneidermann - - Le matinaute - 120 commentaires
Cette fois, il est plutôt bon. Pas de fioritures. Pas de "nous sommes en guerre"
. Pas de jours heureux. Pas de littérature. Cette fois, à la différence du printemps, quand le mot confinement n'avait pas passé ses lèvres, cette fois il a grandi, il prononce les mots. Il dit reconfinement. Comme s'il savait ne pas pouvoir compter sur Castex, pour manifester le courage qui lui manquait alors. Car cette fois, à la différence d'une Merkel, qui annonce des mesures -moins rudes- en Allemagne, entourée du maire de Berlin et du représentant des Länder, il est seul, et ça se voit, ça crève l'écran.
Il était déjà seul en mars. Mais Edouard Philippe donnait le change. Là, il est seul de chez seul. C'est seul, qu'il assume le bon gros vieux mensonge, "personne ne pouvait prévoir, personne"
, alors que le Conseil scientifique avertit depuis juin. C'est seul qu'il nous annonce ce qu'il a décidé pour nos millions de vies. Collèges et lycées oui, facs non. Tolérance pour les retours de la Toussaint. Un kilomètre pour prendre l'air (Le Parisien
vous propose déjà un outil de simulation). Ce sont peut-être les seules décisions possibles, je ne le discute pas, ces décisions lui ont sans doute, disent les familiers des coulisses, été dictées par les chiffres contre son moi profond, c'est possible. Mais c'est seul qu'il a finalement décidé. Comme voici quinze jours, c'est seul qu'il avait décidé de snober le télétravail. Et seul qu'il décidera dans la journée, par exemple, si les librairies resteront ouvertes, un détail parmi d'autres.
"Le Parlement votera demain",
annonce-t-il. C'est dépouillé de cette petite comédie des débats parlementaires, des amendements, des navettes, des réunions de concertation, de tous ces cache-sexe de la monarchie républicaine, qu'il nous balance dans l'inconnu. Car il a dit quatre semaines, mais plus personne n'est dupe. Dès le lendemain matin, le président du Conseil scientifique Delfraissy parle d'un couvre-feu jusqu'en janvier. D'autres déjà d'un confinement de trois mois. Personne ne sait plus rien, et ça transpire.
Un mot revient en boucle sur les plateaux télé : acceptabilité. Sera-t-elle au rendez-vous, la fameuse acceptabilité ? Sondez sondeurs ! En français, ça donne : est-ce que la cocotte minute, par hasard, ne pourrait pas exploser un jour proche ? Est-ce que cette monarchie absolue qui soudain saute aux yeux, ne va pas secréter ses révoltes, ses jacqueries, ses camisards, et en réaction ses dragonnades ? Chacun pressent le pire. Le pire pour le cinéma, le théâtre, les concerts, les librairies, les restaurants, les cafés. Pour ne pas parler des usines, des bureaux, des écoles. Et même si personne ne le dit ainsi, quelque chose se défait, les nerfs lâchent. Ils lâchent sur les plateaux télé, depuis quelques jours. De jour en jour, la nouvelle coqueluche des chaînes, un jeune coq médical nommé Martin Blachier, s'enhardit à cogner sur les vieux, leur irresponsabilité, leur arrogance, leur pouvoir politique et économique. Comme la ventriloquie d'un grommellement profond, qui n'ose pas encore se dire.