Sur BFM, un énervement en aérosols

Daniel Schneidermann - - Le matinaute - 111 commentaires

Les gros. Les vieux. Cette fois les gros mots ont jailli, sur le plateau de BFM. Sur le mode offusqué, bien sûr. Ah non, on ne va pas confiner les vieux, ni les gros, tout de même ! D'ailleurs, les gros, à partir de quel poids ? D'ailleurs le Conseil constitutionnel ne marcherait pas. Oui mais les chauffeurs de bus ! objecte quelqu'un, il faudra bien des dérogations pour les chauffeurs de bus. Ah non, répond le plus énervé. Des dérogations pour les chauffeurs de bus, ça n'a rien à voir avec un confinement des vieux et des gros. Et  tous en chœur : quand on pense qu'il y a quinze jours, les Marseillais se fâchaient pour les cafés !

Le plus énervé, c'est Laurent Neumann. Neumann est le pilier d'entre les piliers des plateaux de BFM, le fond de sauce, fier représentant de la drauche raisonnable et modérée, sparring partner préféré de l'énervé Brunet. Et ce soir, avec ce reconfinement qui se profile, c'est lui le plus énervé. Truchot ne le tient plus. Outre Neumann et Truchot, il y a tous les habitués,  dont Lejeune de Valeurs actuelles(la punition est terminée). Ça sent le débat Turquie, détourné au dernier moment sur le reconfinement. Comme sur CNews, d'ailleurs, où on se demande ce que fait là l'ex-ministre sarkozyste Jeannette Bougrab, pour parler précautions sanitaires. D'ailleurs, ils s'énervent sur le virus, comme ils s'énerveraient sur le sultan.

Tout ça pour les vieux, les gros, les cardiaques : au premier confinement, si on le pensait, on ne le disait pas. On se tenait. On procédait par allusions. On était tous solidaires. On parlait des "personnes vulnérables", des "personnes à risque", et chacun comprenait. Mais ce soir, l'énervement suit les courbes exponentielles. BFM a beau tenter d'ordonner le débat avec de beaux panneaux en trois parties, façon Sciences Po, sur "les trois options sur la table" de Macron (confinement comme en mars, sauf l'école et en plus court, confinement le week-end avec couvre-feu à 19 heures, confinements durs mais localisés) plus personne ne s'écoute. Même "un proche de Macron" ne vient-il pas, sous couvert d'anonymat, de confier au Monde sa préférence pour un confinement des vieux, avec ce commentaire : "Ma ligne est minoritaire, car plus risquée.Les personnes âgées, ce sont elles qui ont le pouvoir, politique, économique, et qui votent le plus."  

L'énervement de BFM n'est dirigé contre personne. Ni le gouvernement, ni Raoult et autres rassuristes, ni personne. C'est juste un énervement qui flotte dans l'air, en gouttelettes ou en aérosol. Par exemple, aucun des énervés de ce soir ne rappelle que les services infirmiers, en Allemagne, à la différence de la France, viennent de décrocher des augmentations de 8,7% à 10%. Ça, ce n'est pas un motif d'énervement, pour BFM. Juste cet énervement qui flotte, et deux mots qui surnagent. Les gros. Les vieux.


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