Pinçon-Charlot, la pandémie, et "l'holocauste"

Daniel Schneidermann - - Complotismes - Le matinaute - 370 commentaires

L'étonnant, ce n'est pas l'arrivée du film Hold-up, pour qui la pandémie de COVID-19 résulte (voir notre enquête, dont je spoile la fin) d'une tentative de "dématérialiser l’argent au travers de nanoparticules activées par le biais du déploiement de la 5G, et injectées par des vaccins contre le Covid-19 (ou des épidémies futures) chez les citoyens, dont les libertés individuelles seraient par conséquent supprimées".  L'étonnant, c'est que ce film ne soit pas arrivé plus tôt. Après tant de ratages du gouvernement français, après tant de mensonges pour masquer ces ratages, cet "Absurdistan" administratif français, comment ne pas chercher un vaste complot ? 

Que l'on trouve rassemblés dans Hold-up la poignée habituelle d'illuminés est attendu. Il est plus étonnant, et accablant, que l'on y retrouve, dans deux interventions différentes, la sociologue Monique Pinçon-Charlot parlant "d'holocauste". Monique Pinçon-Charlot que nous avons, ici, sur ce site, invité cinq fois en dix ans dans nos émissions. Beaucoup de ceux qui, ces derniers années, ont jugé ses travaux d'exploration de la classe des super-riches formidablement culottés et éclairants (et j'en suis), ont été accablés de découvrir, sur les réseaux sociaux, un extrait de trente secondes de Hold-up.


A la réflexion, on n'aurait pas dû être accablés. Et il est temps de tenter de dépasser cet accablement. Cela fait plusieurs années que Monique Pinçon-Charlot développe le thème de "l'holocauste". Elle l'a inauguré à propos du dérèglement climatique (voir par exemple cette interview de février 2020 accordée à la chaîne YouTube Un pognon de dingue, juste avant le confinement). Pour résumer sa pensée, l'oligarchie, les super-riches, organisent cet "holocauste climatique" après avoir réalisé que le capitalisme, grâce à l'intelligence artificielle et à la robotisation, pouvait aisément se passer de la moitié de l'humanité.

Dès l'arrivée de la pandémie et du premier confinement en France (voir cette interview d'avril 2020 à la même chaîne) elle a plaqué sur l'événement la même mécanique : le Covid-19, comme le dérèglement climatique, fait bien les affaires des capitalistes. La pénurie de masques ? Le fiasco des tests ? Ce ne sont pas des échecs du gouvernement français, ni de simples conséquences de la politique d'austérité à l'hôpital. Mais ils témoignent de sa participation à la grande entreprise de cet holocauste. De là à conclure que les "super riches" ont fabriqué la pandémie...

Comme tous les complotismes, cette théorie est de nature, dans notre détresse intellectuelle, à exercer la séduction de l'apaisement. Enfin un coupable ! Et un coupable humain, repérable, identifiable, cette classe sociale qui vit dans des châteaux, et achète des îlots perdus pour s'y construire des bunkers en prévision, justement, de la catastrophe climatique ! Enfin, dans toutes ces questions lancinantes (mais pourquoi ne parvenons-nous pas à freiner la course à la catastrophe climatique ?) enfin une réponse cohérente.

Sur le dérèglement climatique, la narration Pinçon-Charlot est en partie entendable ou, disons, utile : c'est incontestablement un système économique, celui d'un capitalisme fondé sur une course aveugle à la croissance, qui produit depuis deux siècles le dérèglement. Ce qui ne fonctionne pas, c'est l'intentionnalité imputée au coupables de "l'holocauste". Quand donc aurait été fomenté l'épouvantable projet de se débarrasser de la moitié de l'humanité ? Dès la Révolution industrielle ? Dans l'après-guerre ? Au tournant du millénaire ?

Mais c'est sur la pandémie que cette théorie révèle toute son incohérence, ne serait-ce que pour une raison : le Covid-19 met à bas l'économie. Les mesures sanitaires édictées par les gouvernements (pourtant présumés complices des génocidaires néo-libéraux) vont provoquer faillites, ruine et désolation. Et pas seulement des librairies de quartier : que l'on pense au transport aérien, à l'industrie automobile... En France, le MEDEF est vent debout contre toutes les préconisations sanitaires trop contraignantes. Et là, ça ne fonctionne pas. On pourrait néanmoins en débattre savamment (après tout, ce sont bien l'agriculture intensive, et les atteintes à la biodiversité, qui risquent de provoquer des pandémies de coronavirus de plus en plus fréquentes, et de plus en plus violentes). Sauf que derrière ce débat, des vies sont en jeu, de vraies vies, aujourd'hui, ici et maintenant. En développant cette analyse perverse, dans un film délirant où elle se retrouve aux côtés de toute la crème des anti-masques, et des "pas de deuxième vague", Monique Pinçon-Charlot prête justement la main, si peu que ce soit, à la mesure de son influence, à cet "holocauste" qu'elle dénonce. 


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