Covido-complotisme : Pierre Barnérias, de YouTube à "Hold-up"

Paul Aveline - - 179 commentaires

Plongée dans la chaîne YouTube du réalisateur de "Hold-up", Pierre Barnérias, chaîne dont l'audience s'est envolée quand il a mis de côté son obsession pour les expériences de mort imminente et s'est consacré au Covid-19. Nous avons aussi regardé le documentaire.

Comment passe-t-on des expériences de mort imminente au Covid-19 ? Pierre Barnérias, réalisateur de Hold-up, documentaire qui entend dévoiler la conspiration mondiale à l'origine de l'épidémie de coronavirus, a réalisé ce grand écart, comme le montre sa chaîne YouTube, ThanaTV. Ancien reporter de guerre, puis journaliste à Franceinfo, Barnérias se passionne il y a quelques années pour l'au-delà. Dans un documentaire, Thanatos, l'ultime passage, diffusé en 2019, il interrogeait celles et ceux qui sont persuadés d'avoir vécu une "EMI", une expérience de mort imminente. Sa chaîne YouTube a suivi, dont le nom, "thana", signifie en grec "la mort". 

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À son lancement au printemps 2019, ThanaTV se concentre sur les EMI. Au travers de 12 vidéos (la dernière sur ce thème est publiée le 2 avril 2020), Barnérias fait la promotion de son documentaire avec teaser et bandes-annonces, et met en avant des témoignages censés démontrer la réalité des EMI (dont la science n'a, pour le moment, jamais prouvé l'existence). Dans l'une d'entre elles, par exemple, Perrine, 39 ans, raconte avoir fait un AVC puis avoir été placée dans le coma par les médecins pendant 24 heures : "Je me suis vue au-dessus de mon corps et j'avais le sentiment de flotter sur l'amour des gens de ma famille. Et puis à un moment donné, j'ai une voix qui m'a dit : «T'as deux enfants qui ont besoin de toi, donc maintenant t'y retournes»".  

Dans une autre vidéo, c'est Elsa qui témoigne de son accident de scooter. Cette fois, le témoignage est précédé d'un message qui précise que "cette rubrique n'a pas pour objet de prouver la véracité de ces expériences, mais de laisser la parole à ceux qui les ont vécues". Elsa, comme Perrine, a ressenti une vague d'amour "inimaginable". Mais au témoignage d'Elsa, publié le 2 avril 2020, succède un enchaînement de vidéos consacrées à l'épidémie de Covid-19. Seules 3 des 47 vidéos publiées après le 2 avril seront consacrées aux EMI (un témoignage, l'interview d'un écrivain et une vidéo promotionnelle pour la sortie du documentaire en VOD). Deux vidéos évoquent le projet de loi bioéthique porté par le gouvernement et adopté en juillet par l'Assemblée nationale. Le reste (42 vidéos) concerne exclusivement la pandémie. 

Contre "les grands médias de masse"

La première vidéo consacrée au Covid-19, intitulée "Le Dr. Charbonier, sa position sur le Covid-19 et le confinement" est postée le 6 avril 2020. Il s'agit d'une interview, réalisée par Skype, de Jean-Jacques Charbonier, anesthésiste-réanimateur toulousain, qui intervenait déjà  dans Thanatos, l'ultime passage, le documentaire de Barnérias sur les EMI. L'homme est connu des tribunaux et de l'Ordre des médecins. En février 2020, la justice a saisi l'une de ses propriétés, le soupçonnant d'avoir caché quelques 350.000 euros au fisc. Une somme amassée grâce à une activité annexe d'hypnothérapeute, au cours de laquelle il propose à ses patients d'entrer en contact avec les défunts. De son côté, en février 2019, le Conseil régional Midi-Pyrénées de l’Ordre des médecins (CROM) a condamné Charbonier à une interdiction d’exercer la médecine pour 3 mois avec sursis, comme le révélait Médiacités : l'anesthésiste est accusé d'avoir usé de son titre de médecin pour faire la promotion de ses séances d'hypnose. 

Au début de la vidéo, un message appelle les spectateurs à signer la pétition pour l'usage thérapeutique de la chloroquine dans le traitement du Covid-19, une pétition lancée en avril 2020 par Philippe Douste-Blazy, et qui comptabilise à ce jour plus de 500 000 signatures. Charbonier regrette que le gouvernement veuille "bloquer le traitement du professeur Raoult", grand promoteur de l'hydroxychloroquine comme traitement contre le Covid-19 (dont l'Agence de Santé a refusé la généralisation et dont la revue Nature a réfuté l'efficacité). Dans l'interview postée le 4 mai 2020,  Barnérias et Charbonier reprennent la théorie du professeur Luc Montagnier, également mentionnée dans Hold-up (elle est contestée par la communauté scientifique), selon laquelle le Covid-19 aurait été modifié en laboratoire, puisque le nouveau coronavirus partagerait des séquences avec le VIH-1, responsable du sida. 

Perronne dans un fauteuil 

La chaîne YouTube de Barnérias comptabilise aujourd'hui plus de 5 millions de vues. Il faut dire que les formats sont calibrés pour fonctionner sur YouTube. Les vignettes sont parsemées de textes choc, écrits en gras, et parfois en couleur vive. Sur l'une d'elle, l'interview du docteur Christian Perronne, on peut lire "Mensonges, corruption, manipulations". Un appel direct à celles et ceux qui verraient dans l'épidémie de Covid-19 un complot mondial. Cette fois, l'interview se fait en face-à-face, Perronne assis en face de Barnérias. 

Perronne est l'une des figures de proue des "rassuristes", ces médecins persuadés que l'épidémie de Covid-19 n'est pas si grave, et qui ne croient pas à une deuxième vague, pourtant bien là. Il a fait l'objet de nombreuses controverses que résumait L'Express en juillet dernier. Parmi les plus célèbres, il avait affirmé en 2016 que la maladie de Lyme, transmise par la tique, était issue d'insectes génétiquement modifiés par les nazis

Perronne est tout de suite remercié par  Barnérias pour son livre sur le Covid, Y a-t-il une erreur qu'ils n'ont pas commise ?, lequel lui a valu l'ouverture d'une instruction par le Conseil de l'ordre des médecins en juin 2020 ; il y accuse en effet la communauté médicale d'avoir laissé mourir 25.000 personnes en refusant de prescrire de l'hydroxychloroquine. L'interview de Perronne est divisée en trois parties. Au début des deuxième et troisième parties (visibles ici et ici),  Barnérias apparaît face caméra, tantôt assis derrière un bureau, tantôt marchant dans un parc. Et il dénonce "la plus grande manipulation de masse" et "le plus grand scandale scientifique du siècle"

Dans un autre extrait, Barnérias accuse : "Cette obligation invraisemblable(le port du masque généralisé, ndlr) est juste la conséquence d’une corruption gigantesque par l’industrie pharmaceutique de nos élites politiques, mais surtout scientifiques." Le réalisateur évoque alors pour la première fois la production de Hold-up, son documentaire sur le Covid-19 dans lequel, sans surprise, est interviewé Christian Perronne.

"L'épidémie est finie"

Parmi les invités de la chaîne, on compte aussi le docteur Pascal Trotta, dont l'interview (par Skype) est publiée le 11 septembre 2020. Il y affirme que "l'épidémie est finie", dénonce une "immense manipulation" et "un muselage des Français". En cause selon lui : le port du masque. "Ce masque, quand vous respirez, avec l’humidité de votre haleine, tous les germes que vous avez sur la peau (...) se multiplient, et vous respirez un véritable bouillon de culture. (...) Cela n’a pas de sens de porter un masque qui laisse passer les virus qui sont plus petits que les trous qui sont dans les masques" assène le médecin. Une double contre-vérité puisque, comme le rappelait l'INSERM, le port du masque n'est lié à aucune pathologie connue. 

En mai dernier, c'est Alexandra Henrion-Caude, ancienne chercheuse à l'INSERM qui est l'invitée de  Barnérias pour une interview en deux parties. La généticienne est elle aussi largement discréditée aujourd'hui. Par l'INSERM d'abord, son ancien employeur, qui a pris ses distances. Auprès de LCI, l'Institut expliquait en octobre : "Ses propos ne sont en aucun cas ceux de l'INSERM".  En cause, les théories complotistes de la chercheuse, qui accuse notamment le gouvernement de vouloir implanter des nanoparticules dans le cerveau des français via les écouvillons qui servent aux prélèvements nasaux utilisés pour détecter le Covid-19 chez un patient. 

5G et Covid

Dans la deuxième partie de l'entretien réalisé par Skype (visible ici), Alexandra Henrion-Caude est interrogée par Barnérias sur les liens entre la 5G et le Covid-19. Le réalisateur : "Ce qui est étonnant c'est que le 23 mars dernier, le gouvernement a pris 25 ordonnances (...) pour lutter contre le coronavirus. Et parmi ces 25 ordonnances, il y en avait une qui donnait l'autorisation à tous les opérateurs d'installer la 5G sans beaucoup de contrôles, c'est quand même étonnant." Étonnant et surtout faux, comme l'a montré Libération qui notait au passage que l'épidémie de coronavirus pourrait bien ralentir le développement et l'installation... de la 5G. 

Mais pour Henrion-Caude, le problème réside surtout dans la recherche forcenée d'un vaccin. À Barnérias, qui estime que "ce confinement est juste là pour empêcher que les gens soient immunisés de façon naturelle, pour après imposer un vaccin", elle répond : "Ça s'explique sur le plan économique. Les enjeux financiers pour l'industrie pharmaceutique sont tels qu'on peut comprendre que préconiser ce solutionnisme par le vaccin ait un intérêt pour certains." La généticienne est par ailleurs opposée au confinement, et appelle à "refuser ce cycle infernal de distancer les hommes les uns des autres et les hommes de Dieu". 

Un compteur de vues qui explose 

Depuis le tournant covidosceptique pris par la chaîne ThanaTV, l'audience ne cesse de grimper. Alors que les vidéos sur les expériences de mort imminente atteignaient péniblement 6.000 vues chacune (la bande-annonce de Thanatos mise à part), les vidéos sur le Covid enregistrent entre 10 et 370 000 vues. Le record est actuellement détenue par la bande-annonce de Hold-up, qui compte 409 000 vues à l'heure où nous écrivons ces lignes. Au total, ThanaTV accumule plus de 5 millions de vues. 

Le changement de ligne éditoriale de Pierre Barnérias est également très lucratif. Le documentaire Hold-up, qui s'appuie sur le contenu et le succès de la chaîne YouTube, a été financé via deux plateformes de crowdfunding : Tipee et Ulule. Grâce à Tipee, les producteurs du film ont déjà récolté près de 110 000 euros. Sur Ulule, ce sont plus de 182 000 euros qui ont été donnés par des internautes. Cet engouement a poussé Alexandre Boucherot, patron d'Ulule, mal à l'aise, à réagir. Dans un long thread Twitter, il explique que son entreprise s'est engagée à reverser sa commission (un montant prélevé sur les dons) à une "association de défense des droits ou du journalisme"Ulule veut ainsi compenser les effets néfastes d'un projet de financement qui aurait échappé à ses règles de modération. Les deux cagnottes, toujours en ligne, continuent d'engranger des fonds alors que le film est en ligne. 

"Hold-Up", 2h42 de conspiration en crescendo


Mieux vaut s’accrocher : ça dure 2h42. Musique dramatique, intervenants au visage en clair-obscur, sur fond noir, et réalisateur qui se met en scène, avec plus ou moins de bonheur, façon Élise Lucet low-budget. "Hold-up" emprunte aux codes du documentaire d’enquête pour insister sur son dévoilement de vérités qui dérangent. Il se livre même à l'analyse de titres de journaux et de commentaires télés ou radios, pour dénoncer l’aveuglement des médias mainstream et prétendre à une plus grande profondeur.


Mais tout cela sert essentiellement à recycler les "usual suspects" du covido-scepticisme : l’infectiologue Christian Perronne, l’épidémiologiste Laurent Toubiana, le blogueur Silvano Trotta, “l’anthropologue de la santé” Jean-Dominique Michel (en fait fondateur d’un institut de neuro-coaching et auteur d’un livre sur les médecines alternatives), l’anti-masques Carlo Alberto Brusa, la députée Libertés et territoires, elle aussi anti-masques, Martine Wonner, le directeur de publication de FranceSoir Xavier Azalbert, et un bon nombre d’invités de Pierre Barnérias sur sa chaîne YouTube : l’homéopathe Pascal Trotta, la sage-femme Nathalie Derivaux, la généticienne Alexandra Henrion-Caude… Un mélange d’intervenants minoritaires dans leur champ d’expertise, ou pas du tout experts, dont les propos ne sont pas questionnés, et dont l’impact tient surtout à l’effet de cumul de leurs discours, plus ou moins convergents. À noter la présence de l’ancien ministre Philippe Douste-Blazy, venu dire quelques mots pour défendre l’hydroxychloroquine de son ami Didier Raoult. Douste-Blazy s’est désolidarisé du documentaire sur Twitter, affirmant qu’il ne savait pas à quoi il participait.


Sur le fond, le film mélange dans un premier temps vrais scandales et failles, formulés à sa façon, et fake news déjà connues et décryptées maintes fois sur l’épidémie de Covid, et tant pis si tout cela se contredit parfois. Un montage sur les revirements du gouvernement français sur le port du masque aboutit à un Pascal Trotta… qui vilipende les médecins qui demandent de porter le masque. On retrouve les doutes sur les "faux positifs" des tests PCR, le mythe d’une prime décès Covid dans les hôpitaux, la négation d’une deuxième vague... Et aussi la fake news de la création artificielle du virus du Dr Montagnier, affirmée entre autres par un intervenant anonyme "ancien opérateur du renseignement" qui explique que la modification du virus en fait un "virus binaire", capable de rendre des combinaisons et masques à gaz poreux en cas d’attaque chimique ou nucléaire. Il y a enfin, bien sûr, l’increvable hydroxychloroquine, et l’étude du Lancet, en effet très problématique, mais faussement présentée comme la machination qui a empêché l’utilisation du remède miracle.


Mais les questions récurrentes de la voix off ("Qui dirige ?"  "Qui sont les charlatans ?" "Comment expliquer cette décision absurde de l’OMS ?") et ses teasings ("[cette épidémie] était attendue, pire, elle était souhaitée") laissent attendre d’autres révélations. On n’est pas déçus : derrière tout cela, il y a un complot des élites mondialistes. Pêle-mêle sont cités, 1h20 après le début du documentaire, Bill Gates, l'immunologue américain Anthony Fauci, Jacques Attali (visible dans un extrait... d'Arrêt sur images), et même David Rockefeller, pourtant mort en 2017.

Alors, pourquoi ce Covid? On l'apprend au bout de deux heures. Il serait lié au "Great Reset", porté par le Forum économique de Davos (dont l'objet, le monde après-Covid, est détaillé sur le site du Forum Mondial). Le but, si on a bien suivi, serait de dématérialiser l’argent au travers de nanoparticules activées par le biais du déploiement de la 5G, et injectées par des vaccins contre le Covid-19 (ou des épidémies futures) chez les citoyens, dont les libertés individuelles seraient par conséquent supprimées. Le tout dans une optique transhumaniste, via les GAFAM (avec à l’appui une vidéo - déformée selon lui, voir la vidéo complète - de Laurent Alexandre, présenté comme un membre des élites mondiales, en plein délire face à des étudiants de Polytechnique et Centrale), et potentiellement génocidaire - thèse appuyée entre autres sur un extrait de la sociologue Monique Pinçon-Charlot, en roue libre, qui annonce un "holocauste" de "3,5 milliards de pauvres". "J’ai le vertige. Comment des hommes peuvent-ils imaginer des scénarios aussi tordus ?" s’interroge Pierre Barnérias. On se le demande bien.


Julie Le Mest


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