Philippot : le débat sur l'Europe est-il tranché ?
Daniel Schneidermann - - Le matinaute - 126 commentaires Télécharger la videoTélécharger la version audio
Si vous voulez savoir, minute par minute, réplique par réplique
, comment s'est nouée la démission de Philippot du FN, précipitez-vous sur ce récit de France Info. Nourri de confidences des dirigeants frontistes, c'est ce que peut produire de mieux le journalisme politique. A première vue, il n'y manque rien, pas un pois chiche, pas un gramme de semoule du fameux couscousgate. Et pourtant, il y manque l'essentiel.
Même si l'essentiel, dans un premier temps, s'efface toujours devant l'anecdote, le sens de la démission de Philippot du Front National peut clairement apparaître : "la question européenne est tranchée", comme le tweete triomphalement mon camarade eurolâtre de toujours, Jean Quatremer. Car Philippot, ce n'était pas seulement le visage de la dédiabolisation du FN, comme je l'écrivais hier à chaud. C'était aussi l'idéologue de la sortie de l'euro, ligne qui a toujours rencontré, au sein du FN, de nombreuses réticences. Au lendemain de cette démission, Marine Le Pen, devant Bourdin, à l'instant où j'écris ces lignes, vient d'admettre avec hésitations et contorsions que "la sortie de l'euro n'est plus un préalable". La France Insoumise elle-même n'ayant jamais appelé clairement à la sortie de l'euro, plus aucune force politique importante, en France, ne préconise un Frexit.
Fut un temps, pas si ancien, où ce débat sur la sortie de la France de l'euro, voire de l'UE, dans les media, était tabou. Ce tabou était insupportable. C'est pour cette raison qu'ici, sur ce site, nous avons tenté de l'organiser, avec nos petits moyens, notamment en organisant un débat entre Mélenchon et Jacques Sapir, boussole poutinienne de l'europhobie française. Depuis, les medias français se sont largement ouverts à ce débat. Il est monté jusqu'à son apothéose : l'affrontement de second tour entre Macron et Le Pen, et a tourné à la confusion de cette dernière, incapable, sur cette question-pivot de son programme, d'esquisser clairement une stratégie. On peut évidemment le regretter. Pour le dire clairement, la sortie de l'euro, pour vaincre le chômage de masse en France, est la seule méthode qui n'ait jamais été essayée. Elle ne le sera pas.
Pas dans l'immédiat, en tous cas. Aucune question n'est jamais définitvement tranchée. L'Histoire a des ruses, des retours, des hoquets, des têtes à queue. Ils sont, par définition, imprévisibles, sauf à être supra-attentif aux "signaux faibles" qui les annoncent. Où sont, aujourd'hui, les "signaux faibles" ? Une seule certitude : pour avoir une chance de les détecter, il faut tourner le dos aux buzz et aux récits dominants. Est-ce l'incendie volontaire de dizaines de véhicules dans un garage de la gendarmerie à Grenoble, revendiqué par des proches des accusés du procès de "l'incendie de la voiture de police du Quai de Valmy", qui se tient en ce moment à Paris ? Est-ce la grève surprise, masquée sous les arrêts-maladie, de plusieurs centaines de CRS dans la journée d'hier ? Les journalistes n'aiment pas les points d'interrogation. Dans les écoles de journalisme, on nous apprend à éviter comme la peste les titres interrogatifs. Pourtant, parfois, comment faire autrement ?