Perseverare diabolicum

Daniel Schneidermann - - Le matinaute - 85 commentaires

Dans le rassuriste, tout est bon. Ses prophéties minoritaires. Son politiquement incorrect rafraîchissant. Et quand les faits lui infligent une grosse baffe, son déni impavide ou son mea culpa. "On ne pouvait pas savoir, on n'a jamais vu ça, etc". Alors qu'il devenait clair, dans la journée d'hier, que le gouvernement se dirigeait vers un reconfinement total (même s'il est promis, c'est le mot du jour, "souple"), désastreux pour l'économie et la psychologie collective, LCI et CNews donnaient encore la parole à deux éminents négateurs de la deuxième vague, Jean-François Toussaint et Didier Raoult.

On n'a jamais, sur ce site, voulu accabler d'avance Didier Raoult. Quelle est, après tout, notre compétence ? Au nom de quoi, à l'origine, l'aurait-on privé de parole ? Rien ne serait pire que la censure ou l'unanimisme. On s'est contentés, au fil des semaines, de pointer la manière dont nos confrères, les politiques, mais aussi par exemple les sondeurs, s'arrachaient des petits morceaux du prophète marseillais.

Mais aujourd'hui, 28 octobre, il y a les faits. Simplement les faits. Les chiffres s'affolent. Ils s'affolent tellement que Macron, qui pourtant était décidé à tout faire pour y échapper, devrait, sauf nouveau virage dans la journée, annoncer ce soir un reconfinement de quatre semaines.

La décence commune devrait commander aux uns de se taire, et aux autres de les laisser retomber dans l'oubli. Et de se tourner vers ceux dont le discours n'a jamais varié, comme Christian Lehmann, un de nos invités du printemps dont le conseil -"cousez des masques !"- restera l'un des plus pertinents de l'histoire de cette pandémie. Dans sa chronique quotidienne de Libé, qui s"inscrit aujourd'hui comme un bloc de lucidité implacable d'un médecin généraliste, Lehmann n'a jamais varié. "En février, nous demandions où était le stock pandémique de masques. En mars, écrit-il aujourd'hui, nous conseillions à la population d’en coudre et d’en porter. En avril, nous parlions d’aérosolisation. En juin, nous alertions sur le risque de «Covid balnéaire» et de diffusion territoriale du virus. En juillet, nous pétitionnions pour le port du masque en lieu clos. En août, nous proposions le port du masque à partir de 6 ans et le maintien du télétravail. En septembre, nous déplorions le renvoi des vulnérables au travail sans protection"

Et en écho, le généraliste Jérôme Marty, président du syndicat UFML, de rappeler à quelles ruses des négateurs il se heurte depuis l'été. "Quand on disait qu'il y a des malades, on nous répondait qu'il n'y avait pas d'hospitalisations. Quand il y a eu des hospitalisations on nous a dit qu'il n'y avait pas de réanimations. Quand il y a eu des réanimations, on nous a dit que les hôpitaux n'étaient pas débordés. On nous a dit que les tests étaient faux, qu'ils majoraient le nombre de malades, que les médecins étaient payés pour marquer des covid, tout un tas de bêtises".

Entendons-nous. Lehmann ou Marty parlent en médecins. Les lourdes conséquences économiques et sociales d'un confinement ne sont pas leur problème. N'importe quel citoyen peut comprendre qu'un gouvernement, dans ses décisions, prenne aussi en compte les facteurs économiques. Mais parmi les voix médicales, ce sont celles-ci, qui devraient être promues. (Accessoirement, pourquoi, parmi ceux qui n'ont jamais varié, trouve-t-on deux "simples" médecins généralistes, tandis que les urgentistes, les anesthésistes réanimateurs, les épidémiologues, les virologues, qui peuplent les plateaux, ne se sont pas signalés par autant de netteté ? Je pose la question).

Tout n'est pas de la faute des chaînes privées. Partout en Europe, le gouvernements sont dépassés par la brutalité de la deuxième vague. Elles sont un facteur toxique, parmi d'autres. Quand LCI ré-invite Raoult, même pour le confronter à ses erreurs, quand Praud ré-invite Jean-François "il n'y a pas de deuxième vague" Toussaint, ils ne le font pas pour informer le public. Ils le font pour produire un attrayant spectacle de mea culpa. Ils sont shootés à Perrone, Toussaint ou Raoult, comme ils sont shootés à Onfray, Zemmour ou BHL. Le ressort est le même. 


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