Macron, Ruffin, et les Ecopla : bataille pour la lumière
Daniel Schneidermann - - Coups de com' - Le matinaute - 201 commentaires
"Comment Ruffin et Macron ont mis en scène leur rivalité, utilisant les ouvriers pour propulser leur notoriété"
. Badaboum ! L'avocat-activiste Juan Branco a un scoop. Une "exclu", balancée comme une grenade sur Twitter dans l'après-midi d'hier. A la clé, le montage d'un dialogue entre Ruffin et Macron, dialogue enregistré le 12 septembre 2016, dans les bureaux d'Emmanuel Macron (qui vient de démissionner du gouvernement, et n'est pas encore candidat à la présidentielle). On parle stratégie, épisodes. On semble clairement monter un coup, ensemble. Ruffin : "et on sort d'ici en n'étant pas contents"
. Comment donc ? Ruffin et Macron de mèche ? Sidération et tremblements. Dans l'immédiat, "l'exclu" est amplement reprise (Le Monde
,
Le Point
).
[EXCLU] Comment Ruffin et Emmanuel Macron ont mis en scène leur rivalité, utilisant les ouvriers pour propulser leur notoriété.
— Juan Branco ✊️ (@anatolium) November 26, 2019
J'ai tremblé en entendant leurs propos. Et les mensonges de Ruffin pour se justifier.
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Les réseaux sociaux étant le meilleur contre-pouvoir à leur propre pouvoir, le contexte de l'entretien explosif se dégage rapidement. "Je n’ai pas envie de me cacher sur ce truc-là. Je n’ai pas honte " explique Ruffin dans Le Figaro
. En réalité, les ouvriers d'Ecopla, entreprise de l'Isère qui fabrique des barquettes en aluminium, mise en liquidation après gestion désastreuse et siphonnage de sa trésorerie par un actionnaire sino-australien, assistent à l'entretien (ce que ne dit pas le montage de Branco). En réalité, Ruffin, qui n'est alors que le directeur de Fakir
, et pas encore candidat aux législatives, harcèle Macron depuis des semaines, pour ne pas s'être investi dans le sauvetage de l'entreprise.
Ce 12 septembre 2016, Macron sait bien qu'il a à se faire pardonner, non seulement son inaction, mais un mensonge, dévoilé par Fakir
(comme nous le racontions alors en détail ici). Pour se dédouaner du reproche d'inaction, son conseiller Christophe Castaner (déjà lui) a tenté d'expliquer que le cabinet de Macron, à Bercy, avait reçu les salariés d'Ecopla. Faux : le cabinet n'a reçu que des cadres de l'entreprise. De l'autre côté, la stratégie de Ruffin est claire. Il la détaille dans la version intégrale du reportage, diffusé en 2016 dans une émission de Radio Nova, QG de campagne
(à partir de 26', ici). Comme on l'entend l'expliquer aux Ecopla, Ruffin souhaite capter un peu de la lumière de Macron, pour tenter d'influencer le tribunal de commerce, au bénéfice des salariés. "Dans une lutte, il n'y a pas d'ennemi ni d'allié permanent"
, dit Ruffin.
Pour s'en être pris à Ruffin, Branco a subi sur les réseaux sociaux un violent choc en retour, par exemple du blogueur-videaste de gauche radicale Usul (ici l'été dernier sur notre plateau).
A mon sens, l'épisode n'est évidemment pas aussi scandaleux que le présente Branco, mais pas aussi anodin, non plus, que le présentent les défenseurs de Ruffin. C'est une mise en scène co-produite, destinée à capter quelques secondes de la lumière. Au bénéfice de qui ? De Macron, de Ruffin, des salariés d'une lointaine entreprise sinistrée dans un trou noir du maillage médiatique ? Des trois, évidemment, et chacun désignera les gagnants du deal, en fonction de son angle de vision. Quel autre moyen avaient les salariés d'Ecopla, pour exister médiatiquement ? Dans une lutte pour la survie, dans un mouvement social, comme dans une pré-campagne présidentielle, la mise en scène est partout. Pour le reste, de quoi dépend qu'une grenade foire ou explose ? Du regard que l'on porte sur elle. Il est vrai aussi que les deux protagonistes, dans l'intervalle, ont changé de statut.
Droit de réponse de Juan Branco, 27 novembre :
Contrairement à ce que vous affirmez, le montage précise bien que les salariés accompagnent François Ruffin, ainsi que le fait que M. Ruffin a monté une "campagne" concernant Emmanuel Macron - au point où les tracts de Fakir sont repris dans la vidéo. Les mensonges de M. Ruffin sont nombreux sur cette affaire, y compris en ce qui concerne des éléments établis, notamment le faux happening, concerté avec M. Macron, le soir du 12 septembre 2016 (voir dans
Le Figaro
et dans
Le Monde
). Je maintiens pour le reste mes informations. Qu'un homme politique mette en scène son opposition avec un autre homme politique comme le firent encore récemment M. Macron et M. Ruffin à Amiens - tout en prétendant à la sincérité - me révulse et me répugne. Que ce soit au nom d'une cause prétendument juste, ou de sa notoriété.
Dans le montage sonore de Juan Branco, rien ne précise que les salariés sont présents lors de la discussion Ruffin-Macron, et des internautes s'y sont d'ailleurs trompés (ce point est en revanche très clair dans l'émission de Nova). Quand au "faux happening" du soir, il est relaté sous la plume des journalistes du Monde
et du Figaro
, pas dans celle de Ruffin. Contactée, la journaliste du Figaro, Sophie de Ravinel, me confirme néanmoins que c'est bien François Ruffin, qui lui a affirmé, à rebours de la négociation enregistrée, être allé cueillir Macron "à l'improviste" le soir même. Pour le reste, tous les éléments sont à la disposition de qui le souhaite. DS.