Macron et Pétain : rien à voir, évidemment !

Daniel Schneidermann - - Le matinaute - 76 commentaires

Mon estimé confrère Claude Askolovitch vient de comparer le geste de Macron accordant la nationalité française à Mamoudou Gassama,  à celui de Pétain, exemptant magnanimement du statut des Juifs un ancien combattant particulièrement héroïque de 14-18. Il se fait assassiner dans les réseaux sociaux sur l'indécence de sa comparaison. Comment comparer Macron et Pétain ? La France de 2018 à celle de 1941 ? Les migrants d'aujourd'hui aux Juifs d'hier ?

Je comprends Askolovitch. Je comprends ceux que révolte sa comparaison.

Je viens de passer un an et demie en immersion dans la presse des années 30. J'en ai tiré une chronique en video sur la terrible année 38 dans la presse française, que vous pouvez regarder ici. J'en ai surtout tiré un livre, qui sortira à l'automne, sur la médiatisation des premières années du régime hitlérien par les reporters des presses française, britannique, et américaine. Il en ressort, globalement, que les journalistes français, britanniques, américains, n'ont pas alerté le monde comme ils l'auraient dû. Ils n'ont pas alerté sur la folie de l'hitlérisme. Ils n'ont pas donné de voix, de chair, de visage, à la persécution des Juifs. Il y a à cela de nombreuses raisons structurelles, que je tente de disséquer dans le livre.

 Tout ceci pour revenir à ce sujet : l'irrésistibilité et les limites de la comparaison historique.

Un an et demie durant, quand je devais écrire sur les dictatures d'aujourd'hui, sur les imperceptibles glissements des démocraties vers les régimes autoritaires, sur les accomodements raisonnables, sur les grenouilles qui se laissent tranquillement ébouillanter sans s'en apercevoir, sur l'indifférence médiatique au sort des parias d'aujourd'hui, sur l'aveuglement collectif devant les menaces multiformes, me venaient des réminiscences de la presse des années 30. Et symétriquement, lors de la rédaction du livre, quand je me plongeais dans les archives, m'assaillaient des mots, des images, des errements médiatiques d'aujourd'hui. Et je me répétais : "arrête, ça n'a rien à voir".  Arrête.  Calme toi. Redescends. Rien à voir. Cette phrase, combien de fois je me la suis répétée !

Cette terrible trouvaille du point Godwin, tout de même, qui tue dans l'oeuf toute esquisse de comparaison, et même de référence ou d'allusion, même la plus scrupuleuse, même la plus mesurée, à tout ce qui, de près ou de loin, concerne la période hitlérienne. Rien à voir ! Ne glisse pas vers le point Godwin. Sois juste et mesuré. Choisis tes mots.

En 2017, à propos des événements de Charlottesville, où une militante antiraciste américaine a trouvé la mort lors de manifestations nazies, Mike Godwin lui-même, inventeur de la "loi de Godwin" qui porte son nom, a appelé à nommer les nazis américains des nazis. Il est vrai que les nazis de Charlottesville revendiquaient eux-mêmes l'appellation de nazis. Ca n'a donc rien à voir, évidemment.

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