Mamoudou Gassama, premier de cordée sans papiers. Et sans cordée

Daniel Schneidermann - - Le matinaute - 92 commentaires

Cette vidéo, qu'on se repasse en boucle, incrédules. Comme un but de rêve du milieu du terrain, comme un cent mètres vertical, un relais, un cent dix mètres haies, cette vidéo qui laisse tous les mots loin derrière, loin en-dessous, ce corps d'athlète tendu vers l'objectif, plus sûr que tous les doutes, qui a quitté la peur avec le sol, et maintenant tutoie la façade comme dans un film, pas une seconde perdue, j'accroche de la main le bas du balcon supérieur, jeté du bras immédiat sur le haut de la balustrade, projeté du corps, rétablissement, balcon suivant. Ce n'est pas grand chose, finalement, une façade. Ca tient à peu, une vie sauve.

La video nous saisit au soir d'un week-end de toutes les minablitudes françaises, une effigie de Macron en officier israélien avec brassard nazi, un ministre de la police qui somme des manifestants de faire régner l'ordre dans les manifs, les extraits affligeants du livre d'une sous-ministre des femmes, quelques imbéciles qui exigent le retrait de l'affiche d'un magazine sur un dictateur étranger. Elle nous lave, cette image. Elle est trop belle pour être vraie. Et plus belle encore quand on apprend que Spiderman est un migrant malien sans papiers, et qu'il s'appelle Mamoudou Gassama.

Dès l'aube, Mamoudou Gassama est sur BFM. Mamoudou Gassama, a fait savoir l'Elysée, va être reçu par le chef de l'Etat ce lundi à 9 heures 50. 9 heures 50, parce qu'après, à dix heures, Emmanuel Macron reçoit Gérard Collomb. Mamoudou Gassama bénéficiera de dix minutes du temps présidentiel. Dix minutes : dix fois le temps nécessaire, après tout, à escalader quatre étages. A Mamoudou Gassama, la République reconnaissante va offrir des papiers, peut-être la nationalité, comme au héros de l'Hypercacher Lassana Bathily, et ce sera très bien. La République reconnaissante, celle qui accorde au compte-gouttes les autorisations de séjour et le droit d'asile, celle qui s'épuise à effacer du paysage les ombres des tentes Quechua, celle qui reconduit les enfants à la frontière, va s'empresser d'honorer Mamoudou Gassama, cette République si secrètement honteuse, et si soulagée de ce premier premier de cordée sans cordée qui déboule de nulle part, et lui tend la main sans rien craindre.

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