Les Canadair à essence, et leurs pilotes

Daniel Schneidermann - - Le matinaute - 72 commentaires

Nous en sommes à ce stade où tout ce que touche le régime (voir le matinaute d'hier) se transforme en plomb. Le régime ressort en catastrophe un projet de loi sécuritaire déjà voté par le Sénat ? Le texte a toutes chances d'être inconstitutionnel. En lançant l'idée folle de faire poursuivre les donateurs à la cagnotte de l'ex-boxeur Dettinger, la sous-ministre Schiappa a pris le manche du Canadair à aspersion d'essence (soit dit en passant, il faut lire notre enquête d'hier, qui révèle que l'activiste identitaire Damien Rieu a donné ses conseils éclairés sur la conception de cette cagnotte). Ils sont d'ailleurs plusieurs à se le partager, ce manche, comme l'ex-ministre de Chirac Luc Ferry, au micro d'une radio-joujou de l'oligarque Arnault, qui propose que les forces de l'ordre "se servent de leurs armes une bonne fois". Comme si elles ne s'en servaient pas déjà.

Quelques heures plus tard, le manche du Canadair à essence était arraché des mains de Schiappa, par l'ex-ministre sarkozyste Chantal Jouanno, dont beaucoup ont appris hier, en même temps que sa renonciation à mener le "grand débat", l'existence du bidule qu'elle préside, la Commission Nationale du Débat Public. Pour ceux qui ont manqué quelques épisodes, Jouanno renonce donc à organiser le "grand débat" en raison de la révélation, par La lettre A, de son salaire de présidente de la CNDP : 14 700 euros brut par mois. Sur le plateau de la chaîne d'Etat France 2, elle a admis que ce salaire pouvait "faire débat", et logiquement proposé que sa baisse soit...un des sujets du grand débat. Au moins, ça fera un sujet consensuel.

 Si l'emportement général en laissait le temps, il faudrait se pencher sur les vingt ans d'existence de cette CNDP (créée en 1995). Au-delà de son utilité évidente de fournir un fromage à des amis politiques (comme beaucoup de présidents de ces 18 "autorités indépendantes", dont la Cour des comptes pointait le chaos salarial)  sa fonction affichée est intéressante : organiser sur le terrain les débats nécessaires lors des grands projets d'aménagement impactant l'environnement (elle siège d'ailleurs dans les locaux du ministère de l'écologie). Dans une interview accordée au Conseil Economique Social et Environnemental (lequel vient lui-même de se faire pirater une consultation en ligne par Frigide Barjot, comme nous le racontions), Chantal Jouanno tirait quelques leçons des "débats à la française" (vidéo ici).

En soi, ces leçons sont intéressantes. "Le débat, ça marche quand il n'est pas fermé d'emblée par le gouvernement", explique en substance Jouanno, en donnant deux exemples. A propos du site d'enfouissement des déchets nucléaires de Bure, le gouvernement avait fermé d'emblée la porte à toute discussion sur les solutions alternatives : le débat a capoté. En revanche, à propos du projet de ligne ferroviaire nouvelle Paris-Normandie, le débat a pu faire émerger l'idée qu'une ligne nouvelle n'était pas partout nécessaire, et qu'une rénovation de l'existant pourrait être plus efficace. Succès. Succès relatif, certes, mais succès. Si ce genre de choses était encore audible, ce simulacre de participation citoyenne, consenti du bout des lèvres par le régime néo-gaulliste, aurait pu fournir l'esquisse de l'esquisse d'une piste de réflexion sur les alternatives à la démocratie représentative. Mais qui écoute encore les pilotes des Canadair en folie ?


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