Le navet, la dégoûtée, et les critiques
Daniel Schneidermann - - Le matinaute - 46 commentaires Télécharger la videoTélécharger la version audio
C'est un drôle de triangle. Dans le rôle du navet, voici d'abord le navet.
Le navet est un indiscutable navet. Un non-film, des non-répliques, le non-jeu de non-acteurs, des non-cadrages, un truc low cost, inqualifiable, au-delà de toute description, dont les seules curiosités sont le ventre, les fesses, et les ahanements porcins de Depardieu. On aura reconnu Welcome to New York, de Abel Ferrara, décalqué de l'affaire DSK (que le matinaute a douloureusement visionné, la conscience professionnelle n'ayant aucune limite).
Tout pourrait donc être simple. Mais non. Car il y a aussi, hors générique, Anne Sinclair. La vraie Anne Sinclair, ex-épouse de DSK, patronne du HuffPost (groupe Le Monde), figure de la mythologie française du tournant du siècle, avec son argent, son pouvoir, son halo. Et dans ce halo, une rumeur insistante, celle de la fureur de la dame, et de ses menaces à l'encontre du producteur, des distributeurs potentiels du non-film, et du festival de Cannes s'il venait à le programmer. Sans parler du traitement préventif d'une interview sur-mesure à la télévision (on vous le racontait ici). L'ensemble conclu par le coup de cymbales d'une condamnation qui tient en mot : le dégoût. Tardif dégoût, d'ailleurs, comme si le navet était vraiment plus dégoûtant que les événements qu'il relate, ce qui reste à démontrer.
Devant ce complexe tableau, placez donc les critiques de cinéma, dont une partie non négligeable travaillent, ont travaillé, ou pourraient travailler un jour dans la vaste sphère d'influence pigasso-sinclairienne (Le Monde, Télérama, Les Inrocks, Le Nouvel Obs, excusez du peu). Vous m'avez compris. Dézinguer, comme il serait naturel, le non-film, c'est paraître faire le jeu d'une puissante mediacrate. Hors de question, on a sa fierté. En écrire du bien, c'est s'octroyer un brevet de brave, mais en risquant de se ridiculiser professionnellement. Pauvres critiques. On ne dira jamais assez la difficulté du métier. Le résultat est un festival de contorsions, toute une palette allant du "pas si mal, quel dommage qu'il soit un peu antisémite", au "génial, et relaxé du chef d'antisémitisme", le dosage de chaque critique étant exactement proportionnel à la sinclairo-proximité du media.
Considération annexe : comme il y a, à l'Elysée, un bureau qui rend fou, il faut croire qu'il y a des sujets qui rendent nul. Dans la cible DSK, Marc-Edouard Nabe n'a réussi à tirer que des balles à blanc, Marcella Iacub a auto-flingué dans une tentative de cochoncide sa réputation de sexo-tireuse d'élite dans les coins, Régis Jauffret a plongé en apnée dans le néant, où aujourd'hui sombre Ferrara corps et biens, tous créateurs hardis et dans la force de l'âge avant de s'approcher des Bermudes, tous zombifiés dès lors qu'ils y ont touché. A croire que trois ans plus tard, la sidération du sac de noeuds sexe-pouvoir-argent-Israël reste aussi inhibante qu'au premier jour. Il faudra bien un jour tenter de l'analyser, mais c'est un autre sujet.