Le cas Coquerel
Daniel Schneidermann - - Financement des medias - Scandales à retardement - Le matinaute - 238 commentaires
Pour la première fois en France, un élu de la gauche radicale accède à un poste qui pourrait lui permettre de lutter, si peu que ce soit, contre l'évasion fiscale. A ce propos, Éric Coquerel, tout nouveau président de la commission des finances de l'Assemblée, est invité une heure sur BFMTV. Et sur cette heure, trente-huit minutes -trente-huit !- sont consacrées à l'interroger sur le témoignage d'une femme, Sophie Tissier, produit la veille, qui l'accuse d'avoir dansé avec elle de manière trop serrée, six ans plus tôt (Sophie Tissier avait été notre invitée en 2013, sur une toute autre affaire). Et alors, M. Coquerel, aucun geste déplacé, jamais dans votre vie ? Jamais jamais jamais ? Et quand M. Abad arrivera à l'Assemblée, vous allez le chahuter ? Voir ci-dessous le montage des questions, réalisé par le compte Twitter "Caisses de grève".
[ Interview d'@ericcoquerel ]
— Caisses de grève (@caissesdegreve) July 3, 2022
30 minutes d'inquisition pour pouvoir défendre Damien #Abad, ils sont fort ces journalistes #BFMTVpic.twitter.com/WNsrw5eImC
Je pourrais citer les noms des trois journalistes ayant contribué à cette magnifique diversion, Benjamin Duhamel, Amandine Atalaya, Hedwige Chevrillon. On le pourrait, mais l'essentiel n'est pas là. L'essentiel, c'est de se souvenir que le propriétaire de cette chaîne, Patrick Drahi, est lui-même un roi de l'optimisation fiscale. À qui fera-t-on croire que l'acharnement de ceux-ci n'a rien à voir avec les pratiques fiscales de celui-là ?
La troïka de Drahi se sent pourtant invulnérable, parce qu'elle s'abrite derrière l'incontestable cause de #MeToo. Et il est vrai que le cas Coquerel est, pour les féministes de gauche, l'exact et cauchemardesque point de brisure entre l'émancipation millénaire de #MeToo et les milliards perdus de l'évasion fiscale. Le moment où chacun·e est acculé·e à choisir sa priorité. Dans la logique #MeToo, Coquerel devrait démissionner, ou être "mis en retrait" par La France insoumise. Si on considère que prime le combat contre la fraude mondialisée, il doit s'accrocher à son poste, avec les dents.
Une solution de bon sens, sur le papier, serait que LFI, après avoir débranché Coquerel, si cruel que cela soit pour sa personne, présente à sa place, au même poste, un·e élu·e insoupçonnable sur ce plan -une femme, par exemple. Mais c'est une solution de papier. Dans la vraie vie, quel·le que soit l'élu·e de gauche occupant le poste de président de la commission des finances, les médias Drahi et les autres médias de milliardaires trouveront toujours d'excellentes raisons de consacrer trente-huit minutes sur une heure à un pugilat sous la ceinture.