La révolte des journalistes en chocolat
Daniel Schneidermann - - Le matinaute - 77 commentaires
Frottons-nous les yeux : il y a donc des confrères, aujourd'hui, en 2018, et davantage qu'on ne l'aurait cru, pour reprocher à Plenel et Bourdin d'avoir appelé Emmanuel Macron Emmanuel Macron, et non pas "Monsieur le président". De n'avoir pas porté la cravate. D'avoir osé, tout au long de l'entretien, perturber ses monologues. Pour ne prendre qu'un duo, la dream team magique des matins de France Inter : le chef du service politique Yaël Goosz, s'étranglant que Plenel et Bourdin aient osé interrompre Jupiter, immédiatement suivi de Dominique Seux des Echos, auto-investi de la mission divine de venger son patron Arnault, égratigné par Bourdin sur l'évasion fiscale ("votre ami Bernard Arnault"
a-t-il lancé à Macron). Ce ne sont plus seulement des chiens de garde. C'est la ligue de défense des journalistes en chocolat.
Soyons sérieux : il y aura, dans la communication présidentielle, un avant et un après cette interview du Palais de Chaillot. Je suis curieux de voir comment les cravatés pourront, après cette séance, revenir poser leurs questions en chocolat. Les "d
eux hommes blancs de plus de 60 ans"
comme disait Mediapart pour s'en excuser à l'avance, ont fait le job. Défendons cette cohorte, que j'ai récemment rejoint : l'homme de plus de 60 ans (blanc ou non) n'a plus grand chose à prouver ni à perdre. Il peut lâcher ses coups. Bref, il peut encore servir.
La ligue déplore que Macron n'ait pas pu déployer à loisir sa "pensée complexe". D'abord, il l'a déployée, surtout vers la fin, ayant terrassé ses questionneurs à l'usure (les seniors, ça se couche tôt). Ensuite, il la déploie non-stop, depuis un an, cette pensée complexe. On connait tous les couplets. Après la mondialisation résignée de Hollande, c'est la chanson de la mondialisation enthousiaste, la joyeuse ballade des meilleurs et des premiers de cordée. Pour mémoire, voir cet excellent montage de Brut :
Emmanuel Macron connaît ses classiques. Il l’a montré lors de son interview avec Jean-Pierre Pernaut. pic.twitter.com/kDtTyArobO
— Brut FR (@brutofficiel) 12 avril 2018
L'enjeu était donc ailleurs : le soumettre à un crash test. Voir comment il supporte l'interruption physique, en lèse-majesté. Test concluant. Il supporte, le jeunot. Deux heures et demie plus tard, il souriait toujours, et se pourléchait encore.
Car, si disruptif soit-il, le duo (perfidement assemblé par l'Elysée pour que le zadiste et le populiste s'entre-neutralisent et s'annihilent) a peiné à terrasser le dispositif. C'était bien la peine de récuser l'Elysée. Dans Palais de Chaillot, il y a Palais, avec marbres, et volées d'escalier savamment exploitées par les enlumineurs de BFM. Ajoutez la tour Eiffel en prime, clignotant toutes les heures comme un sapin de Noël, on n'avait jamais quitté l'Olympe, comme le rappela le démarrage (trop) traditionnel sur le "régalien" (la Syrie).
De fait, Macron a marqué tous les points, et chacun avec le bonus "adversaires pugnaces". Un seul exemple, sur la destruction de la ferme des cent noms de Notre-Dame-des-Landes, où il atomisa Plenel d'un "je vais venir dans votre salon, et dire que c'est un projet agricole alternatif",
reprochant notamment aux zadistes de mépriser les réglementations sanitaires.
Pourtant, il y aurait eu matière à droit de suite. Les brebis de la ferme des Cent Noms, cher Manu, avaient été bouclées, pucées, et avaient reçu la visite du vétérinaire. C'était en toutes lettres dans un site nommé Mediapart. Mais on ne peut pas courir après toutes les balles.